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Le génome, ce piètre Data center

Une équipe a récemment publié les résultats prometteurs d’une expérience de stockage d’information numérique dans le génome d’une souche bactérienne1. Il s’agit d’un véritable prouesse du point de vue technique puisque les images numériques d’une courte vidéo GIF ont été encodées pixel par pixel en séquences de nucléotides selon un code de conversion définie à l’avance, les séquences d’ADN ainsi créées au nucléotide près par la toute récente méthode CRISPR-cas ont été ensuite intégrées dans le génome bactérien (sur un domaine surnuméraire non utilisé et non exprimé par la bactérie). Après prolifération bactérienne les chercheurs ont prélevé la séquence correspondant et l’ont redéchiffrée, décodée pour retrouver la vidéo GIF d’origine.

Il ne faudrait pas imaginer que les bactéries ont d’une quelconque manière participé au processus : elles n’ont été que les dépositaires de l’information encodée puis décodée par l’homme. Sur le plan théorique, rien de nouveau donc puisque nous connaissons la capacité de l’ADN à se conserver de génération en génération cellulaire à travers ses duplications successives, base de l’hérédité.

L’idée d’un programme génétique composé d’informations intangibles a dominé la théorie néodarwinienne depuis le début du vingtième siècle, et fonde la base très idéaliste d’une vision de l’hérédité suggérant un « rédacteur », fut-il le « Hasard » passablement mythifié.

Les molécules d’ADN, très « stables » et quasi-inertes, ont été conservées comme support privilégié pour la reproduction moléculaire de tout ce qui permet au métabolisme cellulaire de fonctionner. La comparaison avec la programmation informatique a été jusqu’à récemment incontournable pour comprendre la génétique moléculaire et cette expérience semble la prolonger avec éclat.

Pourtant une telle vision est inexacte jusqu’à un certain point, car si l’on sait que le vivant se fonde sur la capacité à conserver le mieux possible le génome malgré l’inexorable entropie intra et extracellulaire, on est obligé d’observer une grande défaillance dans la copie du GIF ici-mentionné : de nombreux pixels ont changé, malgré la grande simplicité de l’image codée.

Si l’objectif est de rechercher dans les mécanismes moléculaires de l’hérédité une solution à notre crise civilisationnelle de stockage des données, c’est vraisemblablement une impasse, non seulement du point de vue quantitatif (on peut imaginer qu’il existe une limite à la capacité de stockage au-delà de laquelle la bactérie ne peut plus « ignorer » ce qu’on lui a greffé et commencera à en pâtir) mais surtout du point de vue qualitatif (accumulation relativement rapide de mutations ponctuelles modifiant les « pixels »).

Cet exemple montre bien à quel point les facteurs de conservation ne se résument pas à la capacité inertielle de l’ADN lui-même (les mécanismes de duplication limitant au maximum les mutations c'est-à-dire littéralement les « coquilles », les fautes de frappe) mais dérivent directement de la pression stabilisatrice de la sélection naturelle. On sait par exemple que par comparaison de séquences génétique dans une population, les zones les plus stables, sans mutations jusqu’à un certain point, sont des zones fonctionnelles (et non passives) qui viennent de muter positivement (c'est-à-dire qui viennent de subir une mutation avantageuse, fortement préservée ensuite dans les générations suivantes). La conservation vient donc d’une mécanisme dialectique actif mettant en jeu à la fois des molécules spécialisées chargées de conserver les séquences d’ADN surtout là où des avantages sélectifs ont été réalisés (épigénétique) et l’action directe du milieu sur le nombre de descendants des individus avantagés. Plus la séquence est utile ou centrale dans le métabolisme, plus elle sera finement conservée à l’identique : c’est par exemple le cas des gènes homéotiques qui président à la formation embryonnaire, et qui représentent les gènes les mieux conservés du règne animal2.

La révolution épigénétique actuelle est heureusement en train de purger la biologie de cette vision très formaliste et très antidialectique d’un génome « support de l’information » ressemblant au « Verbe » inscrit dans la statue du Golem pour lui donner vie.

 

1 – Nature, 12 juillet 2017. Université d’Harvard.

2 – On sait par exemple qu’un gène impliqué dans le formation de l’œil est identique chez l’homme et chez la mouche drosophile.

Représentation du rabbin Loew et de son Golem par Mikoláš Aleš (1899).