Entretien autour de la dialectique de la nature

Article paru dans la revue Etincelles n°35 (septembre 2016), revue théorique éditée par le PRCF

Auteur de « Evolution : La preuve par Marx – Pour dépasser la légende noire de Lyssenko » (Editions DELGA, 2016), Guillaume Suing est agrégé de biologie et membre du Cercle Henri Barbusse de culture ouvrière et populaire (RCC). Enseignant dans le secondaire, il est également engagé dans le combat syndical à la CGT Educ’Action.

  

Etincelles: Suivis par nombre de « marxistes de la chaire », les adversaires de la philosophie marxiste ont longtemps crucifié toute idée de dialectique de la nature en utilisant « l’affaire Lyssenko » comme un repoussoir absolu. Certains marxistes ou ex-marxistes comme Dominique Lecourt ont condamné l’idée même d’une dialectique de la nature en brandissant Lyssenko comme un épouvantail, comme si les excès politiques commis au nom d’une idée condamnaient cette idée. Il est vrai que la brutalité de Lyssenko dans la stigmatisation de ses adversaires, son recours constant et terrorisant au principe d’autorité, fût-ce celle d’Engels, de Lénine ou de Staline, sont indéfendables pour nous matérialistes, dont le seul critère du vrai est la pratique et l’expérience. Pour autant, tu montres dans ton livre que les avancées de Mitchourine, puis de Lyssenko lui-même en matière d’agronomie et plus largement, de théorie évolutionniste, sont relancées de manière inattendue par la recherche biologique contemporaine qui relativise le néodarwinisme, la séparation totale du « soma » et du « germen », et le « tout-génétique » qui fit longtemps la loi en Occident.
Peux-tu nous en dire plus sur ce sujet ?

 

G. Suing: C’est effectivement un contre-sens du point de vue marxiste, que d’exclure du débat scientifique l’une de ses composantes, fut-elle très idéaliste et réactionnaire. La biologie « mendélo-morganiste » qui affirmait la toute-puissance du gène (et par conséquent l’impuissance du milieu sur l’évolution du vivant) n’a cessé de faire des concessions tactiques dans la deuxième moitié du vingtième siècle face à la multiplication des dissidences: le néo-darwinisme vit aujourd’hui une crise profonde, qui n’est pas une simple crise de croissance, et ce n’est pas le fait « d’inquisiteurs » soviétiques, mais bien celui des généticiens eux-mêmes, qui préfèrent désormais aux abstraites mathématiques des débuts de la génétique formelle le matérialisme spontané d’un nécessaire travail de terrain, plus complexe mais aussi plus risqué pour le vieux paradigme.

Tout l’intérêt de la génétique « néo-darwinienne » pour l’hégémonie bourgeoise était de conserver un évolutionnisme à connotation malthusienne, contemporain de la montée en puissance des capitalistes et du crépuscule féodal créationniste, tout en mettant en échec la vision matérialiste dialectique du monde. Dire que le vivant évolue, mais sur la base d’accidents génétiques triés après coup par le milieu dans une relation clairement antidialectique puisque unilatérale [hérédité – milieu], c’est porter un coup théorique au cœur même de la vision marxiste de l’histoire de la Vie dans laquelle s’inscrit celle de l’Homme. C’est sans doute le coup historique le plus cinglant contre la « Dialectique de la Nature » : La bourgeoisie n’allait pas bouder son plaisir.

Ainsi dans les dernières décennies, on a vu se développer une puissante inquisition antimarxiste taxant de « néo-lyssenkiste » toute incursion à connotation dialectique dans le domaine de la biologie, emportant presque au passage les « mendélo-morganiens » saltationnistes : Ceux-ci critiquaient en effet de plus en plus l’orthodoxie gradualiste (évolution des espèces par lente accumulation de petites mutations) et affirmaient que les espèces apparaissent par « bonds qualitatifs »…

Dans le même temps, et ce n’est pas un hasard, le néodarwinisme dissimule mal l’érosion de son « dogme central », sans cesse « nuancé » dans les laboratoires. Né d’un compromis historique entre l’évolutionnisme darwinien et la génétique mendélienne initialement fixiste et idéaliste (si l’être vivant est un Golem dans lequel le « verbe » génétique s’exprime, il en faut un rédacteur-créateur), le néo-darwinisme, encore appelé « théorie synthétique de l’évolution », n’a plus aucune définition pour couvrir la notion centrale de gène : Aucun généticien ne peut plus dire aujourd’hui « qu’un gène détermine un caractère », même s’il est bien sûr exclu d’affirmer que les gènes « n’existent pas ».

Aujourd’hui, une seconde lame de fond vient achever ce qui reste de la théorie officielle. Et ce coup de grâce tombe d’une arène inattendue ; celle de l’agronomie.

Pour sortir d’une désastreuse agriculture intensive fondée sur l’usage massif des pesticides, ce modèle tant vanté par l’Occident capitaliste après-guerre, la recherche ne peut qu’accueillir avec enthousiasme la très médiatique « révolution épigénétique » : Un végétal soumis à un stress (parasite, sécheresse, etc.) et y répondant par l’acquisition d’une résistance appropriée, a la capacité de transmettre cette capacité de résistance acquise sur plusieurs générations… sans aucune modification du génome !

On voit tout de suite l’intérêt économique et écologique d’une telle opportunité, et cela vaut bien une remise en service de cette fameuse « hérédité des caractères acquis par l’habitude » tant moquée jadis dans les salons de l’anticommunisme bon teint, à condition qu’elle soit suffisamment maquillée pour n’éveiller aucun soupçon.

Le néodarwinisme est né d’un postulat de départ, prétendument incontestable : celui de l’impossibilité d’une hérédité des caractères acquis. C’est bien une ironie de l’histoire que l’agronomie renvoie aujourd’hui dans les cordes le mandarinat néodarwinien et avec lui la prétention de comprendre le monde sans dialectique !

Du point de vue idéologique, la découverte est lourde de conséquences : la dialectique de la Nature, qui affirme que la nature n’est qu’actions réciproques de processus liés les uns aux autres, y compris la contradiction dynamique hérédité – milieu, à la base de l’évolution des espèces, s’en trouve réhabilitée par… la jeune génération des généticiens et des agronomes occidentaux !

 

Etincelles: Tu parles d’une crise globale du néo-darwinisme. Peux-tu expliquer en quoi consiste cette conception chère à feu François Jacob et pourquoi les recherches contemporaines la mettent en crise ? Pourquoi le néo-darwinisme et ses impasses nourrissent-ils involontairement le créationnisme ?

 

GS: La dernière période qui va des années 80 à notre siècle a été particulièrement complexe mais on peut dire que deux étapes se sont succédé.

La première a été celle d’une lente érosion du paradigme liée à l’approfondissement de ses concepts fondamentaux, à commencer par celui de gène. La deuxième étape plus récente, disons des années 2000 jusqu’à nos jours, correspond d’une certaine façon à un coup de grâce venant du monde des praticiens eux-mêmes, avec la « révolution épigénétique ».

Dans la première période, il s’agissait plutôt pour les dissidences multiples du vingtième siècle, de proposer des modèles alternatifs d’explication des faits connus avec plus de clarté et moins de circonvolutions théoriques que le néodarwinisme gradualiste officiel. Ce dernier fonctionnait autour d’un « dogme central de la biologie moléculaire » affirmant l’unilatéralité gène – caractère (négation de l’hérédité des caractères acquis), et le gène comme « atome » de la matière vivante : « unité de fonction, unité de recombinaison, unité de mutation ». Or il s’avère que le gène, s’il existe bel et bien, n’a aucune unité de fonction (on ne connaît aucun caractère lié à un seul gène, ni aucun gène dont la fonction serait d’accomplir un unique caractère, mais souvent plusieurs en même temps ou plusieurs possibilités alternatives), aucune unité de recombinaison (un gène peut se retrouver entier d’une génération à une autre, mais il peut aussi souvent se décomposer en parties, les exons, se recombiner à l’intérieur de lui même, se multiplier en plusieurs exemplaires sur le même génome), aucune unité de mutation (puisqu’il existe en plus des mutations intra-géniques, des mutations à l’échelle du chromosome entier, la position ou le nombre d’un gène déterminé dans le génome modifiant tout autant les caractéristiques du mutant qu’une mutation génétique ponctuelle classique).

Autre fait marquant, les théoriciens se sont heurtés à un mur parce que même un « retour à Darwin », au hasard créateur, apte à relativiser ces écueils de la génétique moléculaire, s’est avéré encore plus improductif. En effet, la génétique a été vite confrontée au problème d’une complexité cellulaire toujours plus insaisissable… avec un nombre de gènes dans le génome toujours en baisse sur l’estimation de départ. Elle a dû admettre que la complexité du vivant, comme l’affirmait la doxa instructionniste de la génétique moléculaire, n’est pas liée au nombre de gènes, bien au contraire.

La cellule est armée de nombreux mécanismes de défense, pas seulement contre les variations du milieu mais aussi, et c’est très important, contre les mutations génétiques elles-mêmes, qui surviennent accidentellement au cours de sa vie. Dans le cadre darwinien « hasard – sélection », cette capacité est en fait extrêmement gênante puisque les espèces sont censées évoluer sur cette base, le pur hasard, depuis les origines. Que le vivant acquière des armes extrêmement perfectionnées, à tous les niveaux d’ailleurs (enzymatique, histologique, méiotique, d’histocompatibilité, embryologique, etc.) contre ses capacités naturelles à évoluer, c’est une contradiction que seule la dialectique matérialiste peut dépasser… or celle-ci est bien la seule critique théorique qui manque au débat scientifique actuel !

On comprend alors quelle formidable manne ce blocage théorique peut représenter pour les créationnistes de tous poils !

En réalité l’analyse marxiste lève assez facilement cette contradiction apparente : Il semble évident pour résumer, que les premières molécules de la vie, ces acides nucléiques capables à la fois de se répliquer, étant leur propre matrice linéaire, et de catalyser des réactions chimiques, possèdent toutes les caractéristiques du modèle évolutif darwinien : mutations au hasard et « sélection par le milieu » des molécules les plus aptes à poursuivre cette auto-réplication (ceci est donc en réalité une tautologie au départ). Mais cette capacité primitive à s’auto-conserver par la multiplication (dans le temps et l’espace), n’est due qu’à une propriété assez simple au départ de telles molécules linéaires, produites comme des milliards d’autres molécules n’ayant pas cette particularité dans les conditions spécifiques des océans primitifs. Rien de magique dans tout ça : Le hasard aurait bien engendré la nécessité pour reprendre la célèbre formule de Monod, autrement dit le hasard a permis la formation de nombreux polymères organiques primitifs dont l’un (et cela suffirait par définition) serait doté d’une propriété chimique particulière : celle de s’auto-répliquer.

Mais l’auto-conservation des propriétés auto-conservatrices au niveau moléculaire puis cellulaire a pu progressivement se compliquer par des mécanismes de moins en moins dépendants de la sauvage sélection naturelle et de plus en plus dépendants de mécanismes propres, ayant eu la « bonne idée » de dompter le hasard originel des mutations génétiques : On observe aujourd’hui que les enzymes qui en temps normal corrigent les mutations accidentelles, changent radicalement de fonction en devenant des multiplicateurs de mutations quand les conditions de milieu deviennent « dangereuses » pour l’organisme. C’est un cas d’école de la « négation de la négation ». Tout se passe comme si la matière vivante avait mis en place une série de mécanismes d’auto-conservation contre l’évolution, le changement, la variation, autour d’un modèle « qui fonctionne bien »,… puis avait compliqué ces mécanismes pour remettre activement en cause le modèle par un « chaos contrôlé » de mutations (sans direction) et ainsi sauver de la tempête au moins quelques rescapés : ce qui relève toujours d’une propriété auto-conservatrice de l’espèce, pour peu qu’on ait compris d’un point de vue dialectique que les espèces ont appris à « évoluer pour ne pas changer » ou même plus exactement à prolonger ses extraordinaires capacités à s’auto-conserver jusqu’aux limites : survivre en cas de changement de milieu, ce qui revient en dernière instance… à changer radicalement, à évoluer. En clair, l’auto-conservation n’est pas une « fixité » du vivant face au mouvement autodynamique permanent de l’univers, mais un « contre-mouvement » (donc un mouvement aussi) d’autocorrection permanente, fondé sur ce que les physiciens appellent la néguentropie.

C’est du point de vue marxiste, l’incapacité du mécanisme darwinien à considérer son caractère évolutif de façon intangible, sans histoire propre, qui l’a conduit à la crise actuelle, alors même que le noyau « hasard – sélection » reste juste du moins au départ, fût-il « dompté » ensuite par les capacités sans cesse perfectionnées (sur le même mécanisme de base), de la matière vivante. Il est désormais impossible de comprendre l’extrême complexité du vivant avec le modèle darwinien simple des premiers unicellulaires, cependant que toutes les lois de la dialectique telles que les énonçait Friedrich Engels dans Dialectique de la Nature et l’Anti-Dühring se trouvent rappelées, confirmées, convoquées au secours de l’évolutionnisme darwinien.

Coup de théâtre, certes loin d’éclater au grand jour, mais qui va, c’est heureux, parfaitement dans le sens de l’actuelle « révolution épigénétique », puisque celle-ci identifie une nouvelle stratégie tentant l’auto-conservation de l’espèce par transmission héréditaire jusqu’à un certain point de capacités de résistance acquises à un milieu défavorable ! A l’époque des premières cellules fonctionnant sur le strict modèle darwinien, l’hérédité des caractères acquis par l’habitude était impossible, mais au cours de l’histoire de la vie, celle-ci a pu la mettre en place, parmi mille autres modalités auto-conservatrices observées. Entre deux dangers pour l’auto-conservation : les mutations génétiques d’une part, le milieu changeant d’autre part, la vie a appris à se servir de l’une contre l’autre et réciproquement. En d’autres termes quand le milieu est stable, la matière vivante lutte par tous les moyens contre les mutations, mais quand le milieu change, elle lutte pour s’y adapter en stimulant (au hasard) les mutations contre lesquelles elle luttait, et ceci de surcroît avec les mêmes enzymes ! Ainsi, puisque le milieu ne peut que changer au cours du temps, la vie acquiert une définition simple (et non une liste interminable et purement descriptive telle que l’énonçait le néodarwinisme) dans laquelle s’inscrit par nécessité sa propre évolution : Elle est une matière douée de capacités d’auto-conservation telles qu’elle finit par changer sans cesse de forme pour perdurer, voire pour se libérer avec toujours plus d’innovations, des contraintes innombrables de l’environnement.

 

Etincelles: Dans quelle mesure n’est-il pas absurde d’admettre une certaine hérédité de l’acquis ? Cela ne revient-il pas à régresser vers les conceptions finalistes (très avancées pour leur époque : en gros, l’idée que « la fonction crée l’organe ») de Lamarck ou de Diderot ? Est-il absurde de penser qu’au fil de l’évolution biologique, si aveugle et « hasardeuse » soit-elle (= dénuée de fin a priori), a) un sens global de l’évolution se dégage, qui ne relève pas d’un providentialisme à la Teilhard, mais que peut constater le matérialiste, voire que b) des mécanismes dérivés de l’évolution, au second degré en quelque sorte, ont pu se mettre en place au cours des milliards d’années d’évolution qui permettent au vivant de porter dans son matériel génétique des mécanismes d’amont intériorisant en quelque sorte la sélection des phénotypes et lui permettant de s’adapter plus vite en cas de stress environnemental, bref, non pas d’éliminer la sélection et la lutte pour la vie, mais de les réguler, de les intérioriser quelque peu en amont (par ex. en réactivant des pistes évolutives abandonnées par l’espèce chemin faisant, mais conservées en mémoire et susceptibles de reparaître si besoin), de manière à accélérer les adaptations vitales sans compter uniquement sur des mutations génétiques purement aléatoires et exagérément « opportunes » ?

 

GS: C’est exactement cela. Il y a un vrai piège dans cette notion « d’hérédité de l’acquis » sur lequel les néodarwiniens à la suite du célèbre Weismann se sont empressés de fonder leur socle théorique.

Celui-ci avait disait-on coupé la queue de souris sur plusieurs générations sans que jamais une seule souris ne naisse sans queue. Ainsi l’affaire fut classée pour plus d’un siècle. Ce fut à la fois un bien et un mal. Car il y a en fait deux façons d’aborder cette étrange « hérédité » non génétique ; l’une idéaliste, l’autre matérialiste.

La première, lamarckienne, peut se résumer au vieux schéma de la girafe qui tire sur son cou vers des feuilles poussant sur des arbres de plus en plus hauts et qui engendre des girafes au cou plus long. L’incompatibilité est effectivement totale entre ce modèle un peu enfantin et les découvertes les plus élémentaires de la génétique. Et c’est une façon de considérer l’évolution de façon « orientée », dirigée par le milieu lui-même en évolution. En clair, si la génétique recèle une vision idéaliste en imaginant que le vivant n’est que l’expression d’un « verbe » génétique préexistant, sa stricte négation, l’ectogenèse lamarckienne, donne un rôle quasi divin au milieu « sculpteur » des espèces suivant des directions prédéfinies, donc « préméditées ».

En revanche, la formulation des agronomes soviétiques, au premier rang desquels Lyssenko, se démarque assez nettement du lamarckisme: Il s’agit chez eux d’une « hérédité des caractères acquis par l’habitude », ou encore d’une « hérédité métabolique ».

Il faut bien comprendre en quoi ces deux formules sont différentes, ce qui explique d’ailleurs pourquoi, étonnement, Lyssenko se réclamait toujours de Darwin plutôt de Lamarck.

L’agronomie soviétique prétendait avoir découvert une propriété végétale consistant à transmettre à sa descendance une résistance acquise contre une variation du milieu, pour peu que celle-ci vive dans les mêmes conditions, ayant induit cette résistance. C’est précisément la définition de l’épigénétique, et ce n’est qu’à la lumière des dernières découvertes des généticiens qu’on peut enfin comprendre pourquoi cette capacité peut exister sans bouleverser le darwinisme fondamental.

L’erreur de Lyssenko a sans doute été d’étendre cette capacité à l’ensemble du vivant et d’en déduire qu’elle suffisait à comprendre comment les espèces évoluent… alors que c’est tout le contraire.

Par contre l’épigénétique vient confirmer l’idée que la matière vivante a trouvé au cours des millions d’années de l’histoire de la vie, mille stratégies de conservation des espèces capables de s’inverser en cas de stress pour stimuler l’évolution,… l’une consistant à « nettoyer » ses gènes avant de les transmettre à la descendance via les cellules germinales. Voici l’idée : En conditions normales, on remarque que les organismes exprimant leurs gènes, le font toujours dans un contexte environnemental particulier. Le milieu va déterminer quels gènes vont s’exprimer le plus, vont être le plus utile, quels gènes serviront moins, etc. Pour schématiser, le génome est activement « usé » d’une certaine façon, par des méthylations autour des gènes (qui orientent l’expression des gènes par des complexes enzymatiques selon les circonstances). C’est un peu le principe de la « mémoire » des anticorps, dont les gènes, issus de mutations au hasard en réponse à des expositions antigéniques au cours de la vie, dans les globules blancs activés, sont multipliés et enregistrés. C’est un processus extrêmement complexe mais parfaitement compris à l’heure actuelle. Il y a donc de façon générale une action indirecte, par l’usage pourrait-on dire, des contraintes environnementales sur les gènes, passant par la médiation de mécanismes d’adaptabilité (des mécanismes « innés » permettant « l’acquis »).

La stratégie générale du vivant est de « nettoyer » ces marques, ces méthylations autour des gènes (non mutés donc, il faut le préciser), avant toute transmission génétique à la descendance pour éviter les variations autour du « modèle de base » moyen de l’espèce. Une stratégie d’auto-conservation tout à fait logique et s’adaptant au modèle néodarwinien puisqu’interdisant toute hérédité de l’acquis (pas de manière absolu et intangible comme le supposait le néodarwinisme mais par des mécanismes moléculaires présélectionnés pour cela !).

Les travaux sur l’épigénétique montrent que ces mécanismes « empêchant l’hérédité de l’acquis » lors du reboutage (remise à zéro du génome) des cellules sexuelles, s’inversent pour devenir en cas de stress environnemental les moteurs d’une conservation des parties « marquées », précisément sur les secteurs qui avaient été utiles pour résister à ce stress dans l’organisme parental.

En clair nous avons un nouveau mécanisme, parmi d’autres, permettant des résistances au changement en milieu stable (ici le nettoyage du génome des cellules sexuelles pour effacer l’acquis) inversant sa fonction et empêchant au contraire ce nettoyage, pour conserver les parties du génome les plus utiles en milieu changeant, ces parties ayant été déjà sélectionnées par leur utilité au cours de la vie même de l’organisme parental.

L’hérédité de l’acquis par l’habitude, ou « épigénétique », n’est donc que l’une des modalités trouvées par le vivant pour tenter de se conserver, modalité collatérale au cadre darwinien qui prévalait au départ et qui n’est plus qu’une toile de fond : Le hasard, même « dompté », c'est-à-dire freiné ou accéléré selon les circonstances par l’artillerie enzymatique, reste la base de toute micro-évolution moléculaire, par mutation génétique notamment.

Il n’y a pas là orientation « préméditée » du milieu dans les variations de l’espèce pour s’adapter au milieu, mais un hasard de plus en plus contraint par des mécanismes d’abord simples puis de plus en plus complexes d’auto-conservation permanente (et contradictoirement de non-conservation pour survivre si le milieu change).

Autrement dit Lyssenko obtient gain de cause en ce qui concerne l’hérédité de l’acquis par l’habitude, non pas grâce à l’excommunication des généticiens mendélo-morganistes mais bien, malgré eux, par les conséquences logiques du patient travail de ces derniers dans le demi-siècle qui a suivi…

 

Etincelles: Reeves et bien d’autres cosmologistes pointent l’existence d’un « sens » de l’évolution cosmique puisque, du big-bang (de plus en plus conçu, non comme « création », mais comme « grand rebond »…),on va au fil du temps et de l’expansion cosmique vers des structures matérielles de plus en plus complexes, soupe d’énergie, dégagement photonique, particules s’associant en noyaux, atomes, molécules, macromolécules cométaires ou terrestres, le tout sur fond de segmentation macro-astronomique (étoiles, galaxies, amas, superamas…).

Dans le cadre d’une conception matérialiste du monde qu’il serait grand temps d’opposer à nouveau au « retour au religieux », voire aux conceptions « magiques » et créationnistes résurgentes, ne faut-il pas alors comme Engels, « cadrer » les sciences biologiques et leur conception de l’évolution biologique, entre, d’une part, l’évolution du monde physico-cosmologico-chimique, d’autre part, l’apparition dans des conditions données, de l’homo faber/Sapiens capable de produire ses moyens d’existence, d’en hériter, de parler, de se construire en grand une culture cumulative et diversifiée, bref, de « faire (inconsciemment) l’histoire » avant de pouvoir enfin la maîtriser consciemment ?

 

GS: Il y a eu dans l’histoire de la biologie deux tentations cosmogoniques très opposées : la première a été celle du physicalisme, l’autre celle du vitalisme. En gros les théoriciens évolutionnistes ont oscillé entre un dualisme bien tranché entre vivant et non-vivant, quitte à donner à la matière vivante des propriétés presque surnaturelles, et un monisme plus matérialiste mais qui a pêché par excès de formalisme : Ce n’est pas un hasard si les physiciens et les mathématiciens amateurs d’ordre dans la nature ont accueilli la génétique moléculaire et la cybernétique avec enthousiasme. Il y avait là tout un monde de stabilité, une possibilité de calculs complexes mais rassurants et surtout une vision presque « anhistorique » du vivant, l’opportunité de réduire le vivant à des formules chimiques et à des expériences reproductibles, un « mécanisme » propre aux sciences exactes, plein de cycles et de rétroactions stabilisatrices.

Mais en biologie comme en astrophysique, ce qui semble immuable ou immuablement cyclique à notre échelle d’observation, n’est en fait qu’histoire évolutive allant du simple vers le complexe.

Les néodarwiniens ont formulé une théorie évolutionniste qui présente très bien, cadrant parfaitement avec l’époque, posant une loi de la nature apparemment intangible comme les grandes lois de l’univers, celle de la « sélection naturelle », et c’est depuis cette théorie que la définition classique de la vie est devenue une sorte de liste à la Prévert : La vie serait « ce qui est capable de… », suivi d’une suite ininterrompue de propriétés hétéroclites, … dont celle d’évoluer.

L’analyse matérialiste dialectique renverse la formule : La définition concise et vulgarisable de la matière vivante, matière capable jusqu’à un certain point de se conserver dans le temps et l’espace malgré les changements extérieurs permanents, rend intrinsèquement nécessaire l’évolution des espèces, puisqu’en cas de changement environnemental, cette conservation doit se nier pour se poursuivre (sous des formes nouvelles).

C’est la raison pour laquelle une telle approche, distinguant la matière vivante de la matière non vivante (mais par des qualités particulières issues de la propriété auto-réplicative des acides nucléiques primitivement, non par une âme distincte), loin de s’éloigner du monisme tant espéré des sciences expérimentales, y ramène !