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L’INRA inspiré par d’anciennes méthodes agronomiques soviétiques ?

Comment se passer désormais de pesticides et de traitements polluants propres à surmonter les aléas climatiques ou les ravageurs ? Dos au mur, après avoir préconisé pendant des décennies la pollution systématique des sols cultivés par l’agriculture intensive, l’INRA explore visiblement des voies bien différentes aujourd’hui. Par la voie de Véronique Chable, Spécialiste rennaise à l’INRA, nous découvrons aujourd’hui l’existence d’un étrange permaculteur de l’Herault, Pascal Poot, et de son « conservatoire de la tomate » : Ni engrais, ni pesticides, ni même arrosage, et pourtant un rendement exceptionnel de tomates à forte concentration en vitamines. La recette ?

«  La plupart des plantes qu’on appelle aujourd’hui “mauvaises herbes” étaient des plantes que l’on mangeait au Moyen-Age, comme l’amarante ou le chiendent... Je me suis toujours dit que si elles sont si résistantes aujourd’hui c’est justement parce que personne ne s’en est occupé depuis des générations et des générations. Tout le monde essaye de cultiver les légumes en les protégeant le plus possible, moi au contraire j’essaye de les encourager à se défendre eux-mêmes. J’ai commencé à planter des tomates sur ce terrain plein de cailloux il y a une vingtaine d’années, à l’époque il n’y avait pas une goutte d’eau. Tout le monde pense que si on fait ça toutes les plantes meurent mais ce n’est pas vrai. En fait, presque tous les plants survivent. Par contre on obtient de toutes petites tomates, ridicules. Il faut récolter les graines du fruit et les semer l’année suivante. Là on commence à voir de vraies tomates, on peut en avoir 1 ou 2 kg par plant. Et si on attend encore un an ou deux, alors là c’est formidable. Au début on m’a pris pour un fou mais au bout d’un moment, les voisins ont vu que j’avais plus de tomates qu’eux, et jamais de mildiou, en plus, alors les gens ont commencé à parler et des chercheurs sont venus me voir. » (Tomates sans arrosage ni pesticides : cette méthode fascine les biologistes, Thibaut Schepman, août 2016. NouvelObs)

Mendel et Morgan tomberaient à la renverse en lisant ce qu’en dit Véronique Chable, tant elle démonte avec impudence et naïveté plus d’un siècle de dogmatisme génétique :

« Son principe de base, c’est de mettre la plante dans les conditions dans lesquelles on a envie qu’elle pousse. On l’a oublié, mais ça a longtemps fait partie du bon sens paysan. Aujourd’hui, on appelle cela l’hérédité des caractères acquis, en clair il y a une transmission du stress et des caractères positifs des plantes sur plusieurs générations. Il faut comprendre que l’ADN est un support d’information très plastique, il n’y a pas que la mutation génétique qui entraîne les changements, il y a aussi l’adaptation, avec par exemple des gènes qui sont éteints mais qui peuvent se réveiller. La plante fait ses graines après avoir vécu son cycle, donc elle conserve certains aspects acquis. Pascal Poot exploite ça extrêmement bien, ses plantes ne sont pas très différentes des autres au niveau génétique mais elles ont une capacité d’adaptation impressionnante ». (idem)

Nous serions donc, avec cette révolution épigénétique qui déroute autant qu’elle enthousiasme les biologistes, en train de réintroduire cette fameuse question de l’hérédité des caractères acquis qui avait suscité tant de polémique et de protestation de la part de nos néodarwiniens depuis Weismann, Morgan, et leurs successeurs illustres.

Tant d’acharnement contre les « charlatans » soviétiques qui s’employaient au milieu du siècle dernier à démonter l’idéalisme de la théorie « mendélo-morganiste » de l’hérédité nous impose de rappeler certains éléments aujourd’hui oubliés de l’agronomie soviétique :

- Tout d’abord, sans vouloir glorifier leurs découvertes, sur lesquelles il y eu en effet bien des erreurs théoriques, Mitchourine puis Lyssenko n’ont jamais soutenu la naïve « hérédité des caractères acquis » lamarckienne, celle des girafes au cou de plus ne plus long à mesure que les feuillages s’élevaient. Ils parlaient au contraire, et il faut insister sur ce point parce que c’est visiblement la racine des (re)découvertes actuelles, d’une « hérédité des caractères acquis par l’habitude » (c'est-à-dire transmissible de génération en génération tant que les conditions de milieu se maintiennent), ou encore « d’hérédité ébranlée ».

- Cette « hérédité ébranlée », qui au départ ne se voulait pas une théorie globale expliquant l’évolution des espèces, correspond en tout point à ce dont parlent nos ingénieurs de l’INRA : une « acclimatation épigénétique en condition de stress », pour employer les termes techniques actuels, et qui permet comme Pascal Poot lui-même, en bon autodidacte, de « d’éduquer » une variété végétale dans un sens voulu à l’avance.

- Ce type d’hérédité désormais reconnue, en particulier comme modalité d’évolution ou d’adaptation d’urgence allant plus vite que les évolutions génétiques au hasard quand le milieu change brutalement, s’appuie non sur le « contenu » des gènes, mais sur leur degré d’utilisation ou de non utilisation, ouvrant un large éventail de phénotypes possibles pour un même génotype d’origine, dont le plus efficient est conservé de manière réversible sur plusieurs générations.

Il est sans doute utile de revenir sur quelques pages de la prose un peu fantasque et tombée dans l’oubli des agronomes « mitchouriniens » pour répondre par avance aux objections des philosophes d’aujourd’hui : On peut gloser sur leur travail théorique, ou sur certaines exagérations dans l’exposé de leurs découvertes, mais il est devenu impensable d’accuser l’agronomie soviétique des années quarante et cinquante de fraude ou de charlatanerie « anti-scientifique », car les mitchouriniens mettaient visiblement autant d’obstination à nier les bases génétiques (qui ont pourtant permis de mettre à jour aujourd’hui les mécanismes moléculaires de leurs découvertes) de l’épigénétique que les généticiens d’alors à nier l’acclimation transmissible découverte de l’autre coté du mur… Prenons pour témoin Jacob Ségal, lyssenkiste français auteur de « Mitchourine, Lyssenko et le problème de l’hérédité » (Les éditeurs français réunis, 1951) :

« Si on élevait de jeunes pommiers à partir de la graine, si on les transplantait aussitôt dans les conditions les plus arides, on trouvait régulièrement quelques exemplaires qui survivaient et devenaient des arbres robustes, supportant bien les conditions imposées. Mais le plus important était le fait que cette résistance se manifestait aussi dans leur descendance, obtenue par graines ou par bouturage, autrement dit : la résistance ainsi acquise devenait héréditaire. Ce fut la naissance de la notion de l'hérédité ébranlée, encore vague et imprécise, mais comportant déjà les principes dont l'application devait par la suite devenir si fertile. […]

Ce principe encore vague d'hérédité ébranlée fut bientôt confirmé et développé par de nouvelles expériences. Il s'est avéré qu'il n'est pas toujours nécessaire de soumettre l'organisme à des conditions terribles, entraînant la mort de la plupart des sujets. L'ébranlement peut être obtenu par des actions moins brutales à conditions de les faire intervenir pendant deux et même trois générations successives. […]

Cet ébranlement se traduit par une souplesse généralisée de l'organisme qui se maintient pendant deux ou trois générations consécutives et permet de lui imposer, par une « éducation » appropriée, l'acquisition de caractères nouveaux qui deviennent héréditaires par la suite. […] Les données expérimentales sur lesquelles les biologistes soviétiques basaient leurs déductions furent accueillies dans les pays occidentaux par une méfiance générale. […] Il restait une objection qui faisait son effet surtout en dehors des milieux professionnels. Beaucoup de personnes qui cherchaient à se renseignez objectivement sur les théories des biologistes soviétiques trouvaient étrange que ceux-ci découvraient sans cesse de nouveaux cas de transmission de caractères acquis tandis que ce phénomène n'était révélé par aucun généticien occidental. Nous avons déjà vu qu'une des raisons pour lesquelles les élèves de Mitchourine et de Lyssenko réussissent à produire à volonté des cas de transmission de caractères acquis, est leur connaissance du mécanisme mis en jeu. Ils savent que seules des interventions profondes dans les fonctions vitales de l'organisme peuvent provoquer un ébranlement du mécanisme héréditaire. Ils connaissent les moments où l'intervention d'un facteur extérieur donné a le plus de chance de produire une variation durable. Leurs confrères occidentaux, travaillant à l'aveuglette, ne pouvaient pas compter sur une telle série de réussites. »

Si les soviétiques se sont privé d’une science, la génétique, à cause des succès sans doute encore balbutiants du mitchourinisme, il est clair que les savants occidentaux se sont eux même privés pendant un demi-siècle d’un ensemble de savoirs et de pratiques agronomiques alternatives qui auraient pu contredire sur le plan scientifique « l’évidence » des méthodes agressives et polluantes de le modèle états-unien d’agriculture industrielle intensive.

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