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coenorhabditis soviéticus

chronique du diamat n°6

C’est de plus en plus évident, mais il faut le répéter sans cesse : le premier découvreur de cette épigénétique qui bouleverse aujourd’hui la biologie de fond en comble, c’est bien Trofim Lyssenko, tout charlatan qu’il fût (c’est ainsi qu’on le présenta durant toute la deuxième moitié du vingtième siècle). La révolution actuelle a maintenant fini d’enterrer les dogmes fondateurs de la génétique moléculaire, alors que celle-ci a de fait (re)découvert « malgré elle » cette polémique « hérédité des caractères acquis ». La meilleure preuve que c’est l’actuel « oubli de Lyssenko » (puisque le néodarwinisme ne s’est fondé que négativement contre une telle théorie depuis Weismann) plutôt que Lyssenko lui-même, qui permis la découverte de cette épigénétique. C’est qu’au lieu d’évoquer Lyssenko, on préfère aujourd’hui exhumer Lamarck et le prédarwinisme du 18ème siècle.

Nous allons montrer à quel point cette résurrection est illégitime, et pourquoi il faut plutôt tourner notre attention rétrospective vers « l’Est » : C’est bien une volonté idéologique donc antiscientifique, qui consiste à mettre le couvercle sur une telle évidence.

En 2010 le neurobiologiste Jean-Jacques Remy et son équipe (CNRS Marseille) mettent en évidence une curieuse forme d’hérédité, plus étonnante encore que l’hérédité des caractères acquis déjà démontrée par l’épigénétique depuis une dizaine d’années : Un petit ver nématode bien connu des laboratoires de génétique, le Coenorhabditis elegans, a pour caractéristique assez avantageuse de se souvenir à l’âge adulte d’une odeur favorable perçue durant les premiers jours de vie (dans l’expérience, une odeur d’amande douce, mimant donc une nourriture disponible), d’en être attiré et d’y pondre activement. C’est ce qu’on appelle classiquement une plasticité comportementale, en lien avec un taux de survie plus élevé en milieu naturel. Cette attirance vis-à-vis d’une telle odeur est acquise : elle n’est pas inné, et ne se réalise par un comportement à l’âge adulte que si elle est générée au début de la vie du ver.

Jean Jacques Rémy met en évidence que la descendance du ver présente une attirance « innée » à cette même odeur, autrement dit que cette attirance acquise a été transmise à la descendance, et ce, via le génome (ou plus exactement l’épigénome) : Ce qui a été transmis est l’activation de gènes normalement discrets au niveau de certains neurones du ver, et qui crée le comportement décrit en présence d’une odeur sentie durant les premiers jours de vie.

Mais l’expérience va plus loin. Car cette transmission s’éteint chez la descendance de la descendance, autrement dit assez rapidement. La transmission est perdue sur deux générations, ce qui limite assez étroitement les capacités d’une hérédité des caractères acquis comme l’enseigne l’épigénétique : Cette forme particulière d’hérédité est toujours transitoire et réversible puisqu’elle s’imprime non pas dans les gènes existants mais au niveau de ce qui les active ou les réprime.

Cette labilité de la transmission de l’acquis sur une seule génération se vérifie si on entretient l’acquis (jeune ver mis en présence de l’odeur) sur deux, trois ou quatre générations successives. Mais si elle est entretenue sur cinq générations (ou plus), le caractère acquis se transmettra via l’épigénome sur quarante générations !

A l’heure actuelle, l’existence même d’une hérédité des caractères acquis ne fait plus débat… et c’est peut être d’ailleurs cette absence de débat, alors qu’elle surgit objectivement comme un coup de théâtre, après un siècle de néodarwinisme dominant frappant tout soupçon d’hérédité des caractères acquis d’infâmie ou de tromperie antiscientifique !

Mais justement ; les modalités de cette hérédité des caractères acquis par l’épigénome est aussi éloignée du larmarckisme qu’elles sont proches du lyssenkisme. Et nous allons montrer en quoi.

« Si on élevait de jeunes pommiers à partir de la graine, si on les transplantait aussitôt dans les conditions les plus arides, on trouvait régulièrement quelques exemplaires qui survivaient et devenaient des arbres robustes, supportant bien les conditions imposées. Mais le plus important était le fait que cette résistance se manifestait aussi dans leur descendance, obtenue par graines ou par bouturage, autrement dit : la résistance ainsi acquise devenait héréditaire. Ce fut la naissance de la notion de l'hérédité ébranlée, encore vague et imprécise, mais comportant déjà les principes dont l'application devait par la suite devenir si fertile. […]

Ce principe encore vague d'hérédité ébranlée fut bientôt confirmé et développé par de nouvelles expériences. Il s'est avéré qu'il n'est pas toujours nécessaire de soumettre l'organisme à des conditions terribles, entraînant la mort de la plupart des sujets. L'ébranlement peut être obtenu par des actions moins brutales à conditions de les faire intervenir pendant deux et même trois générations successives. […]

Cet ébranlement se traduit par une souplesse généralisée de l'organisme qui se maintient pendant deux ou trois générations consécutives et permet de lui imposer, par une « éducation » appropriée, l'acquisition de caractères nouveaux qui deviennent héréditaires par la suite. »

Ce texte n’est pas, on l’aura compris, le fait d’un épigénéticien actuel : il est écrit en 1951 et fait référence aux travaux d’agronomes soviétiques. Il insiste d’ailleurs, puisque ce genre de découverte est déjà frappée d’hérésie en occident : « Les données expérimentales sur lesquelles les biologistes soviétiques basaient leurs déductions furent accueillies dans les pays occidentaux par une méfiance générale. […] Il restait une objection qui faisait son effet surtout en dehors des milieux professionnels. Beaucoup de personnes qui cherchaient à se renseigner objectivement sur les théories des biologistes soviétiques trouvaient étrange que ceux-ci découvraient sans cesse de nouveaux cas de transmission de caractères acquis tandis que ce phénomène n'était révélé par aucun généticien occidental. Nous avons déjà vu qu'une des raisons pour lesquelles les élèves de Mitchourine et de Lyssenko réussissent à produire à volonté des cas de transmission de caractères acquis, est leur connaissance du mécanisme mis en jeu. Ils savent que seules des interventions profondes dans les fonctions vitales de l'organisme peuvent provoquer un ébranlement du mécanisme héréditaire. Ils connaissent les moments où l'intervention d'un facteur extérieur donné a le plus de chance de produire une variation durable. Leurs confrères occidentaux, travaillant à l'aveuglette, ne pouvaient pas compter sur une telle série de réussites. » (Jacob Ségal, « Mitchourine, Lyssenko et le problème de l’hérédité », 1951, Les Editeurs Français Réunis).

Nous abordons ici des modalités absolument contraires au lamarckisme : réversibilité de l’hérédité acquise, « éducation » préalable sur plusieurs générations pour telle condition afin qu’elle soit durablement héréditaire. L’Encyclopédie Universalis le mentionne d’ailleurs clairement : « L'importance accordée aux caractères acquis sous l'influence du milieu fait songer au néolamarckisme. Mais le lyssenkisme n'est ni darwinien ni lamarckien, il est une production sui generis. Pour Lyssenko, l'unité de transmission héréditaire est la cellule dans son ensemble, qui est elle-même un concentré des conditions du milieu assimilées au cours des générations précédentes. Pour produire un changement de caractère, voire un changement d'espèce, il faut bousculer ce concentrat  ».

Ce que Weismann avait démontré en coupant les queues de souris sur plusieurs générations, à la fin du 19ème siècle, c’était l’inexistence d’une hérédité acquise des mutilations, rien de plus (ce qu’il admettait lui-même d’ailleurs). On parle ici de toute autre chose : « hérédité acquise par l’habitude », « hérédité métabolique », « hérédité ébranlée », à l’origine d’un possibilité d’éduquer les êtres, dans certaines conditions peu aisées à découvrir (puisque les généticiens occidentaux passèrent – volontairement ? - à coté pendant un demi-siècle), c'est-à-dire de ce que Lyssenko appelait un « darwinisme créateur soviétique » : « La théorie matérialiste du développement de la nature vivante est inconcevable si on n’admet pas comme nécessaire l’hérédité des particularités individuelles acquises par un organisme dans les conditions définies de son existence ; elle est inconcevable si on n’admet pas l’hérédité des propriétés acquises ». Il ajoute qu’on ne saurait qualifier sa conception « ni de néolamarckisme, ni de néodarwinisme ; c’est un darwinisme soviétique, créateur » (T. Lyssenko, Rapport sur la situation de la science biologique, 1948).

Du reste, l’INRA le concède très facilement aujourd’hui dans l’idée d’une « éducation des plantes » qui leur permettrait d’augmenter leur résistance sans recours couteux aux pesticides chimiques : Évoquant un permaculteur « éduquant ses plantes » en milieu défavorables, L’agronome Véronique Chable de l’INRA indiquait en 2016 : « Son principe de base, c’est de mettre la plante dans les conditions dans lesquelles on a envie qu’elle pousse. On l’a oublié, mais ça a longtemps fait partie du bon sens paysan. Aujourd’hui, on appelle cela l’hérédité des caractères acquis, en clair il y a une transmission du stress et des caractères positifs des plantes sur plusieurs générations. Il faut comprendre que l’ADN est un support d’information très plastique, il n’y a pas que la mutation génétique qui entraîne les changements, il y a aussi l’adaptation, avec par exemple des gènes qui sont éteints mais qui peuvent se réveiller. La plante fait ses graines après avoir vécu son cycle, donc elle conserve certains aspects acquis. Pascal Poot exploite ça extrêmement bien, ses plantes ne sont pas très différentes des autres au niveau génétique mais elles ont une capacité d’adaptation impressionnante ».

De tels faits scientifiques sont aujourd’hui disposés sans aucune arrière pensée idéologique ou politique puisque « l’affaire Lyssenko » est classée depuis bien longtemps, pour des raisons qui furent tellement politiquement évidentes qu’elles ne suscitent plus aucune remise en cause depuis… Mais c’est à la lumière de tels faits qu’il faut pourtant réviser l’histoire « officielle » de la biologie, pour peu qu’on soit objectif, pour peu qu’on n’ait, comme scientifique, aucun a priori visant à prouver par avance qui a raison ou qui a tort, totalement ou même partiellement, pour de vulgaires blocages culturels typiquement occidentaux.