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Ecoféminisme: Une théorie doublement réactionnaire pour briser le féminisme et l'agroécologie

50% des gilets jaunes en lutte sont des femmes. Qu’en disent donc les « intellectuel.le.s » du féminisme bourgeois, « universalistes » badinteriennes, butlero-post-modernes « queer » ? Depuis les blocages d’une « classe pour soi » ressuscitée, il faudra bien avaler la pilule et requestionner les certitudes universitaires : Cette poussiéreuse « lutte des classes » aurait-elle retrouvé une centralité insoupçonnée ? Les châteaux de cartes théoriques de la fameuse « deuxième vague » du féminisme risquent de s’effondrer face aux retours de flamme de l’histoire longue.

Les révisionnismes « progressistes », sous des formes nouvelles, « alternatives », modernes, apparaissent et s’hybrident nécessairement… puisqu’ils détourent en négatif le grand retour de Karl Marx sur l’arène des théories en lutte. L’une de ces formes en particulier peut attirer l’attention, tant elle trahi l’hypocrite négation de l’origine capitaliste de la crise mondiale actuelle. Il s’agit de l’écoféminisme, une des branches de l’écosocialisme décroissant.

On atteint là, en effet, des sommets d’absurdité dans la juxtaposition mécanique d’idées tordues : La fertilité naturelle des femmes, protectrice de la fertilité naturelle de l’environnement, devient le remède providentiel de nos maux actuels…

 

TOUT CE QUI MINORE LA LUTTE DES CLASSES EST BON À PRENDRE

 

On peut d’abord décrire l’écoféminisme par ses objectifs politiques inconscients, avant d’en explorer les « subtilités » idéologiques. Il s’agit d’abord de glorifier des figures actuelles des « luttes locales », plus présentables et acceptables sous les traits de l’écologie que sous ceux, archaïques et dépassés, de l’anti-impérialisme. Hors de question de mentionner les avancées sociales réelles pour des millions de femmes cubaines avec le développement de l’agroécologie, sur lesquelles nous reviendrons. On fera plus volontiers la promotion de la militante « décroissante » indienne Vandana Shiva, qui a cela de « mieux » que Pierre Rabhi qu’elle est une femme. Peu importe si –comble de l’horreur pour la féministe bourgeoise de nos prestigieuses universités- elle s’affirme féministe « essentialiste »…

L’écoféminisme est de ce point de vue une façon de masquer les conquêtes révolutionnaires, pour les femmes comme pour la protection de l’environnement, permis par le marxisme réellement opérant, en particulier à Cuba, grâce à la surmédiatisation petite bourgeoise de « personnalités » recevant des prix « alternatifs » et autres reconnaissances internationales. Il faut taire les luttes collectives des femmes, les luttes politiques pour la protection durable des ressources naturelles nationales, dont la force motrice est commune : la lutte anti-impérialiste, et sa forme la plus conséquente, la plus aboutie, est le marxisme. Pourtant…

Qui furent les premiers combattants à ouvrir la voie aux libérations nationales et anticoloniales ? Le Viet-minh communiste. Les premières combattantes de la journée internationale des femmes, du droit de vote et d’éligibilité pour les femmes ? Les communistes Clara Zetkin, Alexandra Kollontaï, et tant d’autres bolsheviks, parmi lesquels, osons le dire, des hommes.

Le père de l’écologie scientifique, créateur du concept de biosphère ? Le soviétique Vernadski. Le premier plan d’afforestation agroécologique d’ampleur jusqu’à présent inégalée ? le grand plan de transformation de la nature de 1948 en URSS. Le premier pays à avoir atteint, selon la renommée FAO (ONU), le stade de « développement durable », notamment en interdisant les pesticides à l’échelle du pays pour une alimentation nationale saine et sans augmentation du prix ? Cuba socialiste.

Bien sur, il faut à tout prix « déconstruire » ce genre de culture historique… les jeunes générations doivent se trouver d’autres icônes à vénérer, en marge du mouvement réel.

Un tel révisionnisme intéresse -précisons-le- des idéologies recyclées profitant de l’occasion pour se refaire une modernité dans le contexte international difficile des soutiens géostratégiques. Le PKK d’Abdullah Ocalan s’est par exemple officiellement départi du marxisme léninisme pour un « communalisme » écoféministe kurde en parfaite adéquation avec la nostalgie de l’époque préesclavagiste, préféodale, précapitaliste, qu’aurait été le « communisme primitif » d’essence rural et matriarcal.

 

UNE DOUBLE CONTORSION THÉORIQUE POUR NIER L’ÉVIDENCE

 

La nostalgie réactionnaire des écologistes décroissants, tournée vers l’époque précapitaliste, c’est à dire féodale, trouve ici plus audacieusement réactionnaire qu’elle : Une nostalgie pour l’époque néolithique et rurale du matriarcat primitif… Pour l’écoféminisme, on prétend avoir trouvé les vraies racines de la lutte des classes qui caractérisa les premières civilisations structurées, monopolisant les premières plus-value du travail collectif : les cultures primitives égalitaires dans lesquelles les « hommes » se concentrant sur la chasse (culture de mort, de guerre, d’armes, etc.) et les « femmes » se concentrant sur la culture des sols (culture de la fertilité, du soin, de la croissance, etc.) vivaient encore en harmonie… [lire à ce sujet « Libérer la vie : La révolution de la femme ». Abdullah Ocalan, International Initiative Edition, 2016].

Pour l’écoféminisme, l’usurpation culturelle progressive par les hommes, usant de leur « culture de mort » retournée contre les femmes désormais esclaves, conditionne par la suite, comme conséquence pour la société entière, ces luttes de classes que Marx considérait naïvement comme l’essence de toute l’histoire humaine. Si la patriarcat est historiquement antérieur à l’exploitation des classes dominées, il en est forcément la cause. Et comme celui-ci a également coïncidé avec l’usure « productiviste » des ressources environnementales, il suffit aujourd’hui de libérer la femme pour retrouver l’époque mythique où l’harmonie régnait entre classes, sexes et entre l’homme et la « nature »…

Nous sommes dans une vision assez attrayante, comme « alternative » au marxisme : on peut enfin soupirer un « c’était mieux avant », propre à toute position réactionnaire, littéralement contraire à tout progressisme, et faisant l’union petite bourgeoise des décroissants écolos et des féministes hostiles au « machisme » du monde ouvrier. Mais il faut quand même surmonter un problème, de taille : c’est une théorie « essentialiste », donc également étrangère au paradigme américain post-moderne dominant, comme à l’universalisme franchouillard des Beauvoir et Badinter…

Pour ce dernier, il est hors de question d’essentialiser une femme par une particularité « biologique » : elle est plus que socialement « l’égale » de l’homme (congés maternité allongés payés 100% par le patron, etc.), elle doit être « identique » à l’homme, pour réussir sa « carrière » (d’ouvrière ?). Pas d’allaitement, pas de congés maternité pour les « battantes »… et banco pour le business du lait en poudre Lactalis et pour la productivité sans discontinuité du travail des femmes! Banco aussi pour le marché des nounous sous-payées palliant aux restrictions des congés maternité indemnisés tant détestés par le patronat, pendant que les habitudes patriarcales subsistent « étonnamment »… banco enfin pour l’approfondissement de l’esclavage des femmes nounous thaïlandaises ou philippines du fait de la « libération » des femmes bourgeoises des pays du Golfe et d’ailleurs… etc.

Pour les féministes post-modernes par contre, l’idée écoféministe peut avoir quelqu’attrait, puisqu’il s’agit de remplacer la gênante et « totalitaire » exploitation de classe par une très à la mode oppression, mieux : par « l’individuation »… Certes il faut « déconstruire » le mythe essentialiste un peu hors-champ de la « terre-mère ». Mais une approche « constructiviste » peut en sauver l’idée phare pour annihiler l’exploitation structurelle et la faire dépendre d’une oppression culturelle et symbolique.

« L’individuation », trituration post-moderne, permet à Judith Butler et d’autres antimarxistes, de poser la « construction sociale » des femmes en tant que femmes, non sur une base historico-naturelle, mais comme seule résultante d’une stigmatisation par les hommes (ce qui est vrai… en partie). Chaque femme est la victime individuelle d’une « individuation » par le collectif des hommes, et elle doit, individuellement, s’en libérer en s’appropriant (pour la renverser) cette image construite. Plus de lutte collective, puisqu’au contraire le groupe est toujours posé comme oppresseur de chaque individu « enfermé » dans une construction fausse et essentialisante. Exit, le féminisme prolétarien !

 

UNE DIALECTIQUE À REMETTRE SUR SES PIEDS

 

On assiste donc à une inversion idéaliste de la cause et de l’effet. La libération réelle des femmes, qui s’est concrétisée par des aménagements concrets du droit à la maternité pris en charge à 100%, jusqu’au droit de pause pour l’allaitement dans les entreprises dotées d’une crèche, furent l’une des gloires de la jeune URSS. De même pour les décrets démocratiques sur le droit de vote, et celui d’être élue, voire ministre, sur la parité conquise entre hommes et femmes dans les Soviets. C’est bien la libération matérielle des femmes qui a conditionné leur libération symbolique, politique, culturelle, et non l’inverse. Et les femmes ouvrières ont bien été à l’avant-garde de ces luttes de libération sociale à la racine de toutes les autres.

Alors du point de vue matérialiste, quel lien entre féminisme et écologie ? En pleine période spéciale, Cuba a redécoupé le territoire en parcelles coopératives de polycultures urbaines et périurbaines sur le modèle durable de l’agroécologie. Elle doit cette avancée à l’obligation matérielle de restaurer la fertilité durable des sols, endommagés par les pesticides de l’agriculture intensive. C’est pour eux une condition vitale de la souveraineté alimentaire de l’île et de l’indépendance nationale et donc de la survie du socialisme. Partant de là, la multiplication, la diversification et l'allègement physique des tâches agricoles au sein des coopératives « bio » qui parsèment le pays, se manifeste par une égalité des sexes de plus en plus importante dans la répartition des tâches. L’intégration des femmes dans le travail comme dans les prises de décision et la démocratie locale se réalise concrètement.

C’est un des effets inattendus autant que bénéfiques de l’agroécologie d’Etat : dans l’agriculture, où le travail, physiquement pénible, était resté plus inégalitaire que dans l’industrie mécanisée, les femmes se retrouvent concrètement les égales des hommes dans les rapports de production fondant la société toute entière. Par la diversification, la simplification physique et l’élaboration intellectuelle des tâches dans une permaculture impliquant des compétences agrobiologiques, elles prennent progressivement les commandes des collectifs agricoles, et on observe depuis une vingtaine d’année une féminisation sensible du secteur primaire.

Même les sociologues occidentaux le reconnaissent : « La diversification agroécologique promue par le MACAC (mouvement Campesino a campesino initié par le syndicat cubain ANAP) induit une diversification des rôles pour tous les membres de la famille. Ainsi, le travail agricole devient plus intéressant et plus agréable car il fait appel à l’imagination et offre des opportunités à tous les membres de la famille. (…). Ceci, sans aucun doute, contribue à (…) réduire le pouvoir exclusif de l’homme au sein de l’unité familiale. Tout ceci est renforcé par l’ambitieuse Stratégie de Genre de l’ANAP, stratégie transversale à l’ensemble du Mouvement. Le MACAC permet de générer des espaces pour la participation des femmes, comme promotrices, formatrices ou encore coordinatrices. (…) Partant, on peut affirmer que les codes de cohabitation familiale ont enrichi les relations et ont profondément modifié les fondements identitaires des hommes et des femmes, ouvrant par là de nouvelles perspectives. On peut donc dire que cette étape a eu des conséquences positives pour l’organisation de la famille, de la communauté et de la vie sociale en général »  (Hainard & Verschuur. « Femmes et politiques urbaines », 2004).

Citons la FAO sur le sujet : L’année dernière le 16 octobre 2017, « Théodore Friedric, représentant à Cuba de la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, a souligné (…) que Cuba est un modèle en ce qui concerne les droits juridiques et la reconnaissance du rôle de la femme paysanne. Au cours d’un meeting à l’occasion de la journée internationale de la femme rurale et de la journée mondiale de l’alimentation le représentant de la FAO a attribué cette réussite à la volonté politique des autorités cubaines. (…) Osmani Pérez, membre du Bureau national de l’ANAP, l’Association Nationale des Petits Agriculteurs, a pour sa part souligné que les acquis de Cuba en matière d’insertion sociale des femmes sont le fruit des changements réalisés par le gouvernement révolutionnaire dans la structure économique, sociale, politique, juridique et culturelle du pays. Il a d’autre part indiqué que parmi les principales tâches des petits agriculteurs figure aujourd’hui l’augmentation de la production agricole qu’exige le processus de récupération après le passage de l’ouragan Irma, le mois dernier. » (Radio Florida de Cuba).

Les Cubains posent effectivement la question dans le bon ordre : « Une Stratégie de Genre est mise en oeuvre depuis 2005. Son principal objectif est d’atteindre une plus grande participation des femmes dans les CPA et les CCS [coopératives agroécologiques], de renforcer leur rôle en augmentant leur participation dans les différents organes de direction et au niveau des prises de décision. La définition d’objectifs spécifiques et la réalisation de tâches permettent, seulement trois ans après la mise en oeuvre de cette stratégie, d’évaluer un grand nombre de résultats et d’identifier un certain nombre de perspectives. Le rôle de la femme doit être renforcé en augmentant sa participation aux différents niveaux de direction. Aujourd’hui les femmes représentent 31% des dirigeants de l’organisation.

La diversification agroécologique promue par le MACAC diversifie les rôles de la famille entière ; le travail agricole devient plus intéressant et agréable, il stimule l’imagination et offre des opportunités pour tous les membres de la famille. Résultat : les jeunes qui restent à la campagne sont plus nombreux, et les membres de la famille étendue se réunissent à nouveau dans la ferme. Ceci contribue sans aucun doute à garantir la relève générationnelle et à réduire le patriarcat à l’intérieur de l’unité familiale. A tout ceci vient s’ajouter l’ambitieuse Stratégie de Genre de l’ANAP, transversale à toute la structure du Mouvement Agroécologique. Le MACAC offre lui-même de nouvelles opportunités pour les femmes, qui peuvent être promotrices, formatrices et coordinatrices. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre la parité. N’oublions pas qu’il s’agit d’un mouvement jeune. De la même manière qu’il faut apprendre à marcher avant de pouvoir courir, l’équité de genre nous permet de débroussailler le chemin. C’est elle qui nous permettra d’avancer ». (« Révolution agroécologique / Le mouvement Campesino a campesino de l’ANAP à Cuba » Braulio Machín Sosa, Adilén María Roque Jaime, Dana Rocío Ávila Lozano, Peter Michael Rosset, 2008).

Cuba socialiste fait la preuve matérielle que c’est bien la lutte de classe, dans laquelle les femmes ont pris toute leur place, qui détermine toutes les autres avancées. S’il existe un lien entre écologie et féminisme, ce lien n’est pas mythique et fantasmé, réduit à une caricature paradisiaque des sociétés néolithiques matrilinéaires, mais bien interactif et déterminé par la lutte antiimpérialiste et la construction d’un socialisme « durable » auquel toute la société doit prendre sa part, femmes et hommes.

Cette logique ne nie pas, bien au contraire, le rôle central des luttes des femmes, des luttes féministes, dans les changements sociologiques engagés, puisque c’est en grande partie par l’action de la Fédération des Femmes Cubaines (plus de 2.5 millions d’adhérentes) qu’on observe aujourd’hui des résultats meilleurs dans l’égalité des sexes à la campagne : elles constitue le moteur de la lutte contre des habitudes archaïques et patriarcales tenaces, même à Cuba. Mais dans cet ordre, sur un base matérielle favorable, le combat féministe ne peut que vaincre, sans jamais tomber dans les écueils intellectualoïdes du féminisme bourgeois occidental.