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Evolution: Vers une approche dialectique

Damien aubert, guillaume suing

Texte paru dans la revue nationale de l'APBG (Association des Professeurs de Biologie-Géologie), janvier 2018

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Evolution Vers une apprroche dialectique
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Damien Aubert est professeur agrégé de SVT, auteur de "Classer le vivant" (Ed. Ellipses, 2017)

Guillaume Suing est professeur agrégé de SVT, auteur de "Evolution: la preuve par Marx" (Ed. Delga, 2016)

« Nous devons emprunter ce que tant de grands penseurs nomment une approche dialectique, mais que les modes américaines récusent, en y dénonçant une rhétorique à usage politique. La pensée dialectique devrait être prise plus au sérieux par les savants occidentaux, […].

Les questions qu’elle soulève sont […] les questions de l’opposition entre réductionnisme et holisme qui sont à présent si brûlantes dans tous les domaines de la biologie (où les explications réductionnistes ont  atteint  leurs limites  et où,  pour  progresser, il faudrait de nouvelles approches pour traiter les données existantes, au lieu d’accumuler encore davantage de données).

Lorsqu’elles se présentent comme les lignes directrices d’une philosophie du changement, […] les trois classiques de la dialectique illustrent une vision […] dans laquelle le changement est une interaction entre les composantes de systèmes complets, et où les composantes […] sont à la fois les produits du système et des données que l’on fait entrer dans le système. Ainsi la loi des « contraires qui s’interpénètrent » témoigne de l’interdépendance absolue des composantes, la « transformation de la quantité en qualité » défend une vision systémique du changement, qui traduit les entrées de données incrémentielles en changement d’état, et la « négation de la négation » décrit la direction donnée à l’histoire, car des systèmes complexes ne peuvent retourner exactement à leur état antérieur ».

S. J. Gould, Un hérisson dans la tempête, 1987.

On a souvent tort d’utiliser le singulier pour parler de « la » théorie de l’évolution. Le fait que les espèces se transforment au cours des générations est certes consensuel, mais les mécanismes et la dynamique de l’évolution sont encore largement débattus (Suing, 2016 ; Aubert, 2017). Stephen Jay Gould, qui est un célèbre paléontologue et évolutionniste américain des années 70 et 80, a par exemple contribué à la critique de l’uniformisme de la théorie synthétique de l’évolution (qu’il nomme « gradualisme phylétique ») en lui opposant une vision plus ou moins « saltationniste » de l’évolution des espèces à travers sa théorie des équilibres ponctués (Gould et Eldredge, 1977). La théorie synthétique de l’évolution (Futuyma, 2015), qui s’inscrit dans la continuité du néodarwinisme[1], présente en effet l’évolution comme un processus extrêmement progressif, accumulant des petites modifications génétiques à une vitesse à peu près constante dans toutes les lignées. Le cumul de ces différences génétiques entre deux lignées évolutives ayant une origine commune récente aboutit finalement à la perte de l’interfécondité. On a donc une espèce mère qui se divise en deux espèces filles distinctes et nouvelles, c’est une « bifurcation ».

Le caractère progressif d’un tel mécanisme a été remis en cause par Gould. Les études paléontologiques ont en effet montré que les espèces sont des entités bien plus constantes qu’on aurait pu le croire, et que les nouvelles espèces apparaissent assez soudainement dans le registre fossile. La distinction de ces deux phases, stases et ponctuations, remet également en cause l’idée qu’une espèce mère se divise nécessairement en deux espèces filles nouvelles. L’analyse du registre fossile montre au contraire qu’en règle générale, une seule espèce fille naît de l’espèce mère, et que cette dernière ne disparait pas au moment de cette naissance. L’une des deux lignées filles résultant d’une cladogenèse est donc bien souvent indistinguable de la lignée mère. On nomme ce mécanisme de spéciation un « bourgeonnement ». L’œuvre de Gould est aujourd’hui poursuivie par son ancien collègue le paléontologue américain Niles Eldredge, mais aussi par de nombreux autres chercheurs à travers le monde.

Malgré ces découvertes, et malgré les doutes précoces de certains contributeurs majeurs à la théorie synthétique comme Ernst Mayr (Mayr, 1982), le néodarwinisme reste très influent et c’est presque toujours le mécanisme néodarwinien qui est présenté comme fondamental, lorsque nous l’avons appris nous-mêmes ou bien lorsque nous l’enseignons aujourd’hui. Nous verrons pourtant, comme l’a souligné Gould, que ce mécanisme évolutif, et plus largement les systèmes vivants eux-mêmes, peuvent être compris de manière naturelle par une approche dialectique. C’est alors le mécanisme néodarwinien qui apparait comme l’exception qu’il est (Aze et al., 2011 ; Aubert, 2017). En effet, loin de la caricature réduisant par exemple cette théorie des équilibres ponctués aux fameux « monstres prometteurs »[2] des premiers mutationnistes (antidarwiniens) du début du xxe siècle, cette théorie permet de lever un des principaux hiatus philosophique de l’évolutionnisme : la transformation de la quantité en qualité (et réciproquement). Suivant le principe dialectique de l’accumulation quantitative induisant un bond qualitatif, on évite l’idée d’un processus purement graduel et abstrait, dans lequel les néodarwinistes finissent par se demander si la catégorie d’espèce existe vraiment de peur de « l’essentialiser », sans pour autant rejeter tout processus cumulatif et graduel.

 

1. QU’EST-CE QUE LA DIALECTIQUE ?

 

La dialectique a d’abord été un mode de raisonnement, développé depuis l’Antiquité, différent de l’inférence logique formelle. Contrairement à cette dernière, qui manipule essentiellement des entités et des propriétés stables, la dialectique s’intéresse à ce qui change dans le temps, aux entités qui se transforment et aux interactions non linéaires. On la fait généralement remonter à Héraclite l’Obscur, un philosophe du vie siècle avant l’ère commune, connu des élèves de Terminale pour avoir expliqué qu’ « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », soulignant ainsi que la dialectique est une philosophie du devenir qui s’oppose fondamentalement à une philosophie de l’être. Il s’agit donc bien d’une approche adaptée à l’étude de la transformation des espèces, mais aussi d’une belle occasion de travailler la transdisciplinarité avec nos  collègues et nos élèves.

Il nous faudra cependant sauter quelques siècles, car la dialectique n’a été formalisée et opérationnalisée (c’est-à-dire rendue rigoureuse et utilisable) qu’au tout début du xixe siècle par Hegel. Les trois thèses fondamentales de la dialectique hégélienne, par la suite inscrites par Marx et Engels au cœur de la matière pour dépasser le mystère de l’origine des phénomènes (Engels, 1883), peuvent être résumées ainsi : (1) La thèse des contradictions dialectiques, comme lutte et unité des contraires, donne à la matière une définition incluant et impliquant par nature son propre mouvement sous l’effet de forces endogènes antagoniques ; (2) La thèse de la transformation de la quantité en qualité donne, avec la fameuse notion de « saut qualitatif », une façon d’appréhender les frontières entre les choses, entre les âges, etc. de façon matérialiste plutôt qu’essentialiste (c’est-à-dire sans avoir à supposer à priori l’existence de catégories fixes) ; (3) La thèse de la négation de la négation fait de l’histoire, donc d’une complexité dérivant du simple, une donnée fondamentale pour comprendre les phénomènes, puisque la question du mouvement et celle de la matière ne font plus qu’une par définition (comme on l’admet désormais en physique fondamentale).

La dialectique a été historiquement féconde et a donné naissance à de nombreuses sciences transdisciplinaires nouvelles comme la cybernétique (que l’on retrouve par exemple en physiologie avec les rétroactions hormonales) ou la théorie du chaos (célèbre pour son « effet papillon »). Nous allons voir dans la suite comment ces trois thèses dialectiques se traduisent en termes biologiques, ainsi que leurs apports aux sciences de l’évolution.

 

2. LA DÉFINITION DE LA VIE ET SA DYNAMIQUE

 

Charles Darwin lui-même avait proposé pour expliquer l’origine des espèces un moteur dialectique connu comme le couple « Variation – Sélection ». En effet, les variations aléatoires peuvent être conçues comme une sorte de force désorganisatrice faisant dévier les descendants du phénotype de leurs ancêtres. Ce désordre (le nouveau phénotype) se retrouve confronté à l’environnement qui est lui-même fondamentalement une source de désordres que l’on connait sous le nom d’entropie dans le cadre du second principe de la thermodynamique. Et c’est précisément de ces antagonismes, de cette lutte du désordre contre le désordre, que nait une nouvelle espèce, une nouvelle forme d’organisation, un ordre nouveau. Le darwinisme est donc fondamentalement compatible avec les thèses de la dialectique, sous réserve que la façon de transmettre les variations de génération en génération ne devienne pas le refuge théorique d’un idéalisme particulièrement tenace : celui qui marqua les débuts de la génétique formelle (et donc le néodarwinisme), avec des notions comme celles d’ « information génétique », d’« instruction » ou de « programme génétique » (Griffiths, 2001). Comme cela est désormais admis, il n’y a pas de « programme » (ni par conséquent de « programmateur ») au cœur du génome, pourtant ces métaphores continuent à être employées dans les manuels scolaires et auprès du grand public.

En fait, la dualité génotype/phénotype elle-même n’a rien de fondamentale, elle est le produit de l’histoire. Selon la théorie assez vraisemblable du « monde à ARN », les premiers ribozymes[3] n’avaient d’autre activité que de se répliquer à l’identique à partir des composants de la « soupe primitive ». On se doute que la réussite, c’est-à-dire la perpétuation de ce processus, dépendait alors fortement des conditions physico-chimiques du milieu et que la moindre variation de température, de pH, ou le tarissement des monomères nécessaires aux polymérisations, pouvait provoquer l’extinction de cet embryon de vie primitive (ce qui a dû arriver à de multiples reprises). La vie est donc dès le début en lutte contre l’environnement et ses fluctuations inéluctables. Une autoconservation parfaite aurait été trop fragile à cet égard, mais un mouvement autoconservateur empreint d’imperfections, produisant des variantes, avait le potentiel de faire émerger de nouvelles activités comme la production des monomères, le contrôle d’un milieu interne, etc. Une seule molécule était peut-être à l’origine capable d’accomplir toutes ces fonctions, mais rapidement une division et une spécialisation du travail a rendu l’ensemble du processus plus efficace. Il n’y a donc pas de système génétique discret en soi (essentialisme), mais seulement une spécialisation historique de certains composants physiques dans tel ou tel type d’activité. L’utilisation de tous les ribonucléotides, l’ATP mais aussi GTP, CTP et UTP, à la fois comme monomères constitutifs des ARN messagers (une molécule « informative ») et comme fournisseur d’énergie pour la plupart des réactions métaboliques endergoniques, est un reliquat particulièrement éloquent de cette époque  reculée (pour une analyse sur l’origine de la vie et l’importance de la coopération moléculaire, voir Cavalier-Smith, 2001).

Comme on le voit, l’évolution n’est pas seulement une propriété de la vie parmi d’autres, mais elle est au contraire intimement liée à la définition de la vie elle-même. Paradoxalement en apparence, le mouvement autoconservateur de la vie a pour conséquence, de par sa lutte contre les fluctuations du milieu, d’aboutir à une transformation du vivant, c’est-à-dire à sa non-conservation tel qu’il était. La vie change pour rester, ou pour le formuler de manière moins finaliste, elle reste parce qu’elle change. La contradiction dynamique fondamentale du vivant déterminerait donc celle du moteur de son évolution, et pourrait même la dépasser : Il s’agit d’une forme de matière dotée de la capacité à s’autoconserver au fil des générations malgré les variations environnementales… par des processus adaptatifs, c'est-à-dire en ne se conservant pas ! Cette évolution s’est elle-même complexifiée/perfectionnée suivant une tendance à l’émancipation progressive des contraintes environnementales : d’abord des processus purement darwiniens de variations/sélection centrés sur l’autoréplication spontanée des premières macromolécules biologiques, ensuite l’absorption progressive dans ce contre-mouvement tendant inexorablement au perfectionnement de mécanismes de plus en plus sophistiqués répondant à des contraintes environnementales de plus ne plus larges et complexes. Ainsi des formes pluricellulaires coloniales, des organismes capables de reproduction sexuée, des sociétés organisées, etc.

Contrairement à ce qu’affirme le néodarwinisme, l’évolution ne consiste pas en la sélection de gènes[4] (éventuellement qualifiés d’ « égoïstes ») de mieux en mieux adaptés à un environnement particulier (donc de plus en plus en harmonie avec lui) par le truchement de mutations génétiques ponctuelles, mais en la sélection de phénotypes[5] à tous les niveaux d’organisation (géniques, cellulaires, organismaux, populationnels, etc. ; ce qui peut d’ailleurs mener à des luttes entre ces niveaux) parvenant à  survivre et surtout se reproduire malgré le milieu. Cela aboutit à la perpétuation de n’importe quelles structures ou organisations de bas niveaux responsables de ces phénotypes de hauts niveaux, que celles-ci soient composées de séquences d’ADN (comme c’est majoritairement le cas), d’ARN (comme chez les ribovirus), de lipides (comme les membranes génétiques[6] qui compartimentent les eucaryotes), de protéines (comme les histones), de structures plus complexes (comme la cytotaxie des cils chez les ciliophores) ou même de certains états métaboliques. Bien sûr, les protéines impliquées dans ces microstructures sont encodées par des gènes, mais aucun gène n’est responsable leurs assemblages particuliers et de la perpétuation de ces configurations de génération en génération (Beisson, 2008). Ces exceptions sont très surprenantes dans un cadre néodarwinien (qui inclut le fameux « dogme central de la biologie moléculaire »[7]), mais ce serait l’absence d’exception qui le serait dans un paradigme purement darwinien (où tout est en interaction et où les spécialisations sont les résultats de développements historiques).

 

3. LA LUTTE CONTRE LES VARIATIONS ET SES CONSÉQUENCES

 

Il n’est pas toujours avantageux pour les espèces que les organismes en train de se reproduire produisent des variantes d’eux-mêmes. Leurs défauts par rapport aux copies d’origine résultent généralement en leur élimination par la sélection naturelle, on parle alors de sélection stabilisatrice ou purifiante. Ce type de sélection est responsable des stases de plusieurs millions d’années que subissent les espèces (Eldredge et al., 2005). Cela représente évidemment un gâchis de ressources, si bien que toute altération qui stabilise la conservation du phénotype à travers les générations a tendance à être positivement sélectionné. Ainsi, la propriété d’autocorrection qu’exhibe l’ADN polymérase lors de la réplication de l’ADN, ou les enzymes du système de réparation des mésappariements (SRM) s’opposent naturellement aux variations héréditaires (Matic et al., 1996)[8], létales ou désavantageuses dans la grande majorité des cas. Il faut souligner que dans le deuxième cas, la cellule différencie spécifiquement le brin matrice du brin néosynthétisé, par exemple à cause de la présence de méthylations sur l’ADN chez les bactéries, ce qui permet de corriger préférentiellement la copie plutôt que d’altérer l’original. On a donc affaire à des systèmes ayant des propriétés autoconservatrices de plus en plus efficaces, mais qui paradoxalement, du fait de cette efficacité, semblent mettre en péril la conservation du système sur le long terme. Dans un environnement particulièrement stressant, une plus forte mutabilité peut être un avantage non négligeable. Or justement, dans un environnement génotoxique le SRM répare l’ADN endommagé sans nécessairement connaitre le brin portant une information altérée. Son action empêche la cellule de mourir s’il corrige le brin altéré mais est aussi la source de nouvelles variations. Un processus autoconservateur lutte ici objectivement contre les mutations ponctuelles que le néodarwinisme tenait pour centrales le processus évolutif, mais il a lui-même évolué dans le sens de variations à la fois plus larges et plus opportunes que le seul hasard ne laissait imaginer. Mentionnons également la réponse SOS qui chez les bactéries est déclenchée lorsque l’ADN est fortement endommagé. Celui-ci est alors réparé coute que coute, quitte à introduire de très nombreuses erreurs. L’activation de la réponse SOS favorise de ce fait des recombinaisons génétiques non homologues, voire l’insertion d’ADN étranger dans le génome (voir Figure 1).

 

Les processus dialectiques ne sont pas strictement cantonnés à la lutte contre les seules mutations ponctuelles : on considère en effet généralement à l’échelle des individus que la reproduction sexuée elle-même est un processus conservatif à l’origine (notamment du fait des crossing-overs qui facilitent l’élimination de mutations délétères) et non une innovation propre à se reproduire mieux puisque la mitose lui préexiste[9], ainsi que toutes les modalités de reproduction asexuée assimilables à du clonage naturel. Les mécanismes méiotiques déterminant les appariements et recombinaisons entre chromosomes de congénères (les « parents »), permettent lors d’une phase diploïde, de limiter statistiquement l’effet délétère de la majorité des mutations (majoritairement récessives par perte/altération de fonction) en doublant tous les exemplaires de gènes d’un individu, sauf quand ces mutations sont devenues plus fréquentes à cause de la sélection directionnelle des rares individus homozygotes. Le polymorphisme génétique précède donc de plusieurs générations l’émergence éventuelle d’un polymorphisme phénotypique significatif. Ainsi des mécanismes destinés à conserver le morphotype contre les variations (pression stabilisatrice) deviennent objectivement par le développement d’un plus grand polymorphisme des populations, un point d’appui grâce auquel la sélection naturelle transformera l’espèce (Bernstein et al., 1981). Il s’agit donc à une échelle supérieure d’un processus conservatif ne favorisant pas immédiatement l’expression de certaines variations, mais favorisant de façon dialectique l’évolution phénotypique lorsque celle-ci est opportune.

Plus étonnant encore, les mécanismes conservateurs qui « remettent à zéro » du génome au niveau des cellules germinales des organismes pluricellulaires : Ceux-ci font en effet disparaître les marques épigénétiques correspondant à des adaptations acquises de l’organisme vis-à-vis des conditions particulières du milieu. De tels mécanismes « conservateurs » installent entre la lignée somatique (portant l’acquis « oublié » dans les générations futures) et la lignée germinale (l’inné conservé) une « barrière » non pas métaphysique et idéalement infranchissable, comme l’ont répété certains philosophes idéalistes à partir d’une erreur d’appréciation des travaux de Weismann au début du vingtième siècle, mais historiquement construite et donc partiellement réversible et franchissable dans certaines conditions.

Les généticiens ont ainsi observé récemment que ces mêmes mécanismes « oublient » sélectivement de « rebooter » les secteurs du génomes ayant été recombinés ou réactivés en réaction à quelque stress environnemental lors de la remise à zéro du génome de la lignée germinale, rendant si le milieu l’impose certains acquis héritables[10]. Il s’agit selon les généticiens de mécanismes permettant une adaptation héritable beaucoup plus rapide en cas de changement brutal du milieu, auquel la basse fréquence des mutations aléatoire ne pourrait répondre efficacement[11].

Pourquoi ne pas aller plus loin et considérer l’évolution génétique dans une interaction plus large et plus clairement dialectique des groupes d’individus avec leur milieu (génétique des populations) ; selon une théorie récente par exemple, qui finit d’achever le « dogme central » de la génétique moléculaire (voulant que la relation gène – milieu n’est qu’unilatérale donc non dialectique), les espèces sont régulièrement amenées à modifier elles mêmes leur environnement pour tendre (sans jamais y parvenir bien sur) à le stabiliser. C’est la théorie de la « construction de niche » (Lewontin, 1983, 2000). En suivant cette idée, ce sont les espèces qui, en trouvant les moyens de stabiliser leur milieu jusqu’à un certain point, deviennent actrices de leur propre pression de sélection naturelle : perturbante inversion du processus darwinien quand on l’analyse dialectiquement là encore.

À travers tous ces exemples, nous apprenons que des mécanismes hautement élaborés se sont superposés au cours de l’histoire du vivant, en suivant une tendance autoconservatrice fondamentale, dont la seule finalité est de faire conserver/compliquer la propriété autoréplicative/autoconservative de ses origines moléculaires. En somme, non seulement le vivant ne se conserve relativement que parce qu’il évolue, mais il évolue parce que des tendances conservatrices ont mis en œuvre des stratégies de plus en plus efficaces et opportunes, « domptant » ou détournant les tendances à la désorganisation naturelle (mutations, vieillissement, hybridation, extinction de clones, etc.). On pourrait dire que d’une certaine façon, il est logique que le « moteur » de l’évolution des espèces ait lui aussi une histoire, et qu’il ne peut se réduire au formalisme simpliste du couple néodarwinien mutation/sélection.

 

4. L’ÉVOLUTION AU-DELÀ DE L’ESPÈCE

 

Contrairement à ce que l’intuition nous dicte, les stases ne sont pas des phases d’« arrêt » de l’évolution, mais des phases d’équilibre dynamique métastable. Dynamique, car comme un coureur sur un tapis roulant, c’est un mouvement incessant de lutte (contre l’environnement et contre les variations) qui permet de rester sur  place. Métastable, car les relations qu’entretiennent entre eux les différents éléments de ce système sont non linéaires (nombreuses rétroactions). Un éloignement de ce point d’équilibre peut se produire du fait de cette instabilité intrinsèque ou à cause d’une perturbation extérieure, avec pour conséquence soit un retour au point d’équilibre soit l’atteinte d’un nouveau point d’équilibre, c’est-à-dire une spéciation par ponctuation. Il ne faut pas confondre métastabilité et instabilité, cette transition entre ces deux points d’équilibre (changement de qualité) n’est en effet possible que si les perturbations dépassent un certain seuil (accumulation quantitative). On sous-estime généralement à quel point les espèces peuvent évoluer rapidement. En laboratoire, les vitesses d’évolution expérimentales sont d’ailleurs beaucoup plus rapides que ce qu’on constate à l’échelle des temps géologiques quel que soit l’organisme modèle retenu, micro- ou macroorganisme (Aubert, 2017). L’évolution n’est donc pas intrinsèquement lente (il serait alors difficile d’expliquer ses brusques accélérations), mais au contraire naturellement très rapide, quoiqu’en permanence freinée par des interactions complexes avec l’environnement (d’où les fameuses stases).

Ces phénomènes de ralentissement et d’accélération de l’évolution n’existent pas seulement à l’échelle des espèces, mais également aux niveaux taxonomiques plus élevés comme les genres, les familles, les ordres, etc. On nomme respectivement ces régimes d’évolution la bradytélie (lente) et la tachytélie (rapide). Cette caractéristique dynamique de l’évolution est tout à fait fondamentale. Pourtant les représentations de l’évolution auxquelles nous sommes habitués, sous la forme d’arbres ultramétriques[12] appelés cladogrammes, passent cet aspect complètement sous silence : les longueurs des branches ne représentent rien. Il est néanmoins clair que toutes les espèces actuelles, même si elles sont toutes issues de lignées évolutives ayant évolué pendant la même durée (c’est-à-dire environ 3,5 à 3,8 Ga), n’ont pas accumulé la même quantité de transformations évolutives. Que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas de simples variations aléatoires de la vitesse évolutive le long des branches comme on pourrait s’y attendre de la part d’un modèle probabiliste de type « marche aléatoire » (mouvement brownien) propre au cadre néodarwinien. De nombreuses études paléontologiques récentes ont montré que de tels modèles étaient bien incapables de rendre compte des bouffées d’accélération de plus ou moins grande ampleur que l’on constate dans certaines lignées.

 

 

D’un point de vue biologique, l’évolution d’un groupe est restreinte par la « zone adaptative » dans laquelle il se trouve. Celle-ci représente les variations de son plan d’organisation autorisées par l’ensemble des contraintes physiologiques, écologiques et historiques (phylogénétiques) qui affectent ce groupe. Ces contraintes ont pour effet de stabiliser le plan d’organisation à plus ou moins long terme, mais il n’est pas rare qu’une espèce du groupe puisse entrer dans une nouvelle zone adaptative à l’occasion de mutations particulièrement opportunes (voir Figure 2). Il s’agit d’un véritable « saut qualitatif » au sens dialectique car ce type d’innovation-clé ne peut survenir que lorsque l’ancienne zone adaptative est saturée d’espèces et que la lutte interspécifique a conduit à commencer à sonder les frontières de la zone ou bien à modifier rétroactivement celle-ci (il faut bien avoir à l’esprit que le « paysage adaptatif »[13] n’est pas statique mais évolue dynamiquement sous l’influence des espèces qui l’habitent). Cette entrée dans une nouvelle zone adaptative vierge d’espèces concurrentes est suivie  par une exploration de celle-ci, ce qui se manifeste par de nombreuses spéciations et transformations inédites de caractères : le plan d’organisation se modifie ou un nouveau plan d’organisation nait.

C’est ainsi par exemple que s’est construit progressivement le plan d’organisation des oiseaux modernes. Comme toujours en paléontologie, il est difficile de pointer avec certitude l’innovation-clé responsable de la diversification explosive d’un groupe, mais dans ce cas il est probable qu’il s’agisse du vol battu. Ce mode de locomotion n’a pu apparaitre qu’à la suite d’une longue série d’innovations comme le développement des plumes, des sacs aériens, de l’homéothermie ou encore la miniaturisation du corps (toutes ayant été sélectionnées pour d’autres raisons que l’adaptation au vol). Mais ce qui nous intéresse le plus ici c’est que le vol battu primitif des premiers oiseaux a par la suite stimulé dans un laps de temps très court la sélection de nombreuses innovations comme la régression de la queue et la fusion des vertèbres sacrées, une scapula incurvée, un bréchet développé permettant ainsi l’ancrage des puissants muscles nécessaires au vol, etc. Cela a entrainé une première vague de diversification au Mésozoïque (malgré la concurrence des ptérosaures), ce qui traduit une exploration rapide de la nouvelle zone adaptative que le vol battu avait ouverte. Une deuxième vague de diversification a eu lieu au début du Cénozoïque du fait de la disparition soudaine des dinosaures et des ptérosaures, ce qui libéra des nouvelles niches écologiques, agrandissant ainsi la zone adaptive des oiseaux (Brusatte et al., 2014, 2015).

Malheureusement cette dynamique, mettant en avant les accélérations et les transitions entre zones adaptatives, est souvent complètement absente de nos diagrammes phylogénétiques, mais aussi de nos classifications.

 

5. LA REPRÉSENTATION DE L’ÉVOLUTION

 

En accord avec un cadre néodarwinien pourtant vieillissant, c’est la « classification phylogénétique » qui s’est largement imposée en taxonomie. Le principe en est simple, et c’est surement l’un de ses attraits principaux, un taxon n’est valide que s’il contient tous les descendants de son dernier ancêtre commun (ou cénancêtre). On parle alors de groupe « holophylétique », au contraire s’il manque des descendants on parle de groupe « paraphylétique » (les deux types de groupes sont « monophylétiques » car le cénancêtre est inclus dans les deux cas). Cette règle pose néanmoins de nombreux problèmes (ne serait-ce que d’un point de vue logique, il est impossible de couper un groupe holophylétique en deux groupes holophylétiques si le cénancêtre est connu…) mais nous ne nous attarderons ici que sur la déformation qu’elle induit sur notre représentation mentale du phénomène évolutif. En effet son respect strict conduit à regrouper ensemble des espèces qui ne se ressemblent pas et à séparer des espèces qui se ressemblent. Par ressemblance on entend bien sûr le partage de caractères homologues et non de simples ressemblances superficielles comme les ailes des chauves-souris et des oiseaux. Les groupes formés ne correspondent ainsi pas du tout aux zones adaptatives sur lesquelles se repose pourtant la croissance de l’arbre phylogénétique (voir Figure 3). On a par exemple tous en tête aujourd’hui l’idée qu’il ne faut pas parler de reptiles car les crocodiliens doivent être classés avec les oiseaux à l’exclusion des lézards suivant la topologie du cladogramme. Pourtant la quantité d’évolution qui  sépare l’alligator du pigeon est bien plus importante que celle qui le sépare du lézard des murailles. Ce n’est d’une part pas difficile à montrer avec une matrice de caractères appropriée et d’autre part plusieurs études paléontologiques récentes ont mis en évidence de manière convaincante l’accélération évolutive subie par la lignée à l’origine des oiseaux (Brusatte et al., 2014, 2015).

 

 

La philosophie qui sous-tend cette « classification phylogénétique » est le cladisme[14], et certains systématiciens ont souligné dès le début le caractère discutable de l’exclusion axiomatique les groupes paraphylétiques. Ce problème apparait aujourd’hui avec d’autant plus de force que le cadre néodarwinien s’étiole et que des méthodes mathématiques rigoureuses permettent de comparer les longueurs des branches. Soulignons que les codes de nomenclature actuellement en vigueur n’interdisent absolument pas de nommer ou d’utiliser des taxons paraphylétiques, et ce, malgré l’attitude évangélisatrice des promoteurs du cladisme. Dans le programme de Terminale S, nous sommes conduits à débattre des avantages et des inconvénients de plusieurs définitions de l’espèce. Dans la même veine, il serait peut-être tout aussi intéressant d’amener les élèves à une réflexion critique sur les représentations induites par tel ou tel système de classification plutôt que de se limiter à la « bonne parole » cladiste (que l’on soit pour ou contre celle-ci d’ailleurs). Cela est d’autant plus nécessaire que dans la vulgarisation et dans l’enseignement, le rejet du principe holophylétique dans la classification est presque systématiquement dénoncé (à tort) comme un reliquat tenace des classifications pré-évolutionnistes, une erreur du passé à laquelle seuls de vieux traditionnalistes s’accrocheraient…

En faisant cela, ils cherchent à nier qu’une classification acceptant les taxons paraphylétiques puisse avoir un caractère évolutif, ils seraient les seuls véritables successeurs de Darwin[15] ! Pourtant, il n’y a pas plus évolutionniste que de vouloir mettre en avant les sauts évolutifs dans l’arbre du vivant (les « révolutions » pourrait-on même dire), tronçonnant ce dernier en zones adaptatives distinctes. Or, promouvoir ces zones adaptatives revient justement à promouvoir la paraphylie. Ce n’est finalement pas pour rien que cette école de pensée se nomme elle-même la « systématique évolutionniste ». Même si cette position est aujourd’hui malheureusement minoritaire, un darwinien peut clamer de manière tout à fait cohérente que les poissons existent et que les poules ne sont pas des dinosaures. De ce point de vue évolutionniste, un aspect fondamental de l’évolution est absent de la classification cladiste : sa dynamique (Mayr, 1982). C’est donc tout le contraire de la dialectique que le cladisme nous propose, c’est une métaphysique. Il n’existe pas de représentation neutre de l’évolution, l’image utilisée permet toujours d’insister davantage sur un aspect plutôt que sur un autre (topologie versus zones adaptatives, voir Figure 3), ce qui véhicule nécessairement une certaine vision du monde (comme structure statique ou comme mouvement perpétuel), et donc une idéologie scientifique, ou encore (si le premier mot vous fait peur ou si l’expression vous semble être un oxymore) une prise de position dans le débat épistémologique.

 

CONCLUSION

 

Qu’il s’agisse des modèles susceptibles de comprendre comment les espèces évoluent ou comment on restitue historiquement de telles évolutions, les paradigmes qui ont dominé le xxe  siècle semblent s’épuiser, et l’éclectisme ou le « pragmatisme » avec lequel ils tentaient de tenir par « absorption à la marge » des thèses critiques (saltationnisme, neutralisme, et aujourd’hui toutes les découvertes relatives aux « épimutations ») ne suffisent plus à l’évidence à endiguer des conceptions plus dialectiques. Les trois principes qui ont été rappelés ici sont adaptés à la compréhension des enjeux actuels des sciences de l’évolution.

Contradiction dialectique entre mécanismes moléculaires conservateurs et tendance à la désorganisation interne et environnementale (lutte et unité des contraires) ;

Changement de la quantité – accumulation de petites modifications intraspécifiques à l’origine du polymorphisme des populations – en qualité – génération d’une nouvelle espèce à partir de l’espèce ancestrale – par un saut qualitatif circonscrivant objectivement (mais pas « absolument ») les espèces ;

Négation de la négation dans le processus qui « émancipe » jusqu’à un certain point les espèces de leurs contraintes environnementales (colonies, organismes pluricellulaires, libération du milieu aquatique, viviparité, constructions de niches, organisations sociales et coopérations, culture, etc.).

Les fameux principes de la dialectique sont, on le voit, de plus en plus évidents en biologie pour peu qu’on identifie la « conservation » du vivant non comme un absolu idéaliste, ce qu’elle a pu laisser croire aux premiers naturalistes et aux idéologues théologiens de leur époque, mais au contraire comme un contre-mouvement perpétuel aux fluctuations incessantes du milieu, contre-mouvement qui devient lui-même facteur d’évolution adaptative faute de pouvoir vaincre un milieu toujours plus puissant que lui. En d’autres termes, la « vie » et la « lutte pour la vie » ne font qu’un.

 

 

[1] Le néodarwinisme est un concept historiquement créé par Georges J. Romanes (1848-1894), donc bien avant la théorie synthétique (autour de 1930-1950), pour qualifier le darwinisme débarrassé de l’hérédité des caractères acquis. Aujourd’hui ce terme est souvent employé comme synonyme de la théorie synthétique, un usage discuté que nous avons choisi d’adopter dans cet article au vu des similitudes paradigmatiques (Suing, 2016).

[2] La confusion entre les macromutations des monstres prometteurs et la théorie des équilibres ponctués est courante mais elle n’est pas due à une mauvaise vulgarisation, Gould lui-même en serait responsable (Cavalier-Smith, 2006).

[3] Enzyme dont l’activité catalytique est assurée par des acides nucléiques (une enzyme n’est donc pas nécessairement de nature protéique).

[4] Notons en passant que le concept de « gène » est très variable en fonction de la discipline (biologie de l’évolution versus biologie moléculaire) et de l’époque (Deutsch J., 2012).

[5] Les phénotypes sont bien sûr génétiquement déterminés, au moins partiellement, mais cette organisation hiérarchique du vivant n’implique pas nécessairement un niveau de sélection privilégié.

[6] Une membrane génétique est une membrane qui provient toujours de la croissance et de la division de membranes du même type, et ont donc une identité génétique et une continuité évolutive (Cavalier-Smith, 2000 ; Cavalier-Smith, 2001).

[7] Thèse sur l’unilatéralité absolue « ADN → ARN → protéine » formulée par Francis Crick en 1958, et autour de laquelle toute la génétique moléculaire s’est constituée contre la thèse plus ancienne de Lamarck, reprise par Darwin, sur l’hérédité de l’acquis. Cette dernière est partiellement de retour avec la découverte de formes marginales d’hérédité dites « épigénétiques ».

[8] Cet article identifie dans le détail le processus dialectique opposant le système SOS et le système SRM dans les réponses cellulaires aux stress environnementaux, y compris chez les eucaryotes.

[9] Il faut cependant noter que selon certaines théories la méiose précède la mitose mais cela ne remet pas en cause le caractère conservatif du processus cyclique syngamie/méiose (Cavalier-Smith, 2010).

[10] On trouve maintenant dans la littérature scientifique de nombreux cas de « transmission épigénétique » c'est-à-dire de marque d’usage du génome s’étant avérées utiles pour son propriétaire et qui sont conservés (protégé de l’effacement qui reste la règle « conservatrice ») dans le génome des gamètes pour être transmis héréditairement et de façon réversible (« Hérédité », 2017 ; Allemand D. et al., 2017)

Concernant les échanges génétiques possibles entre lignée somatique et germinale malgré la « barrière » soma – germen, on trouvera plusieurs exemple de petits ARN nommés rétrotransposons et autres « rétrovirus endogènes », susceptibles de passer du génome de cellules somatiques aux spermatozoïdes, dotés d’une artillerie moléculaire adapté à l’intégration de segments génétiques, ainsi qu’aux ovules. Voir en particulier « Retrotransposons, reverse transcriptase and the genesis of new genetic information » Sciamanna I., Vitullo P., Curatolo A. Spadafora C.,  in Gene, décembre 2009.

[11] Un exemple en est donné avec le cas des coraux dans l’article « Y aura-t-il encore des coraux dans la mer ? » de Denis Allemand, Sylvie Tambutté, Didier Zocolla, du journal La Recherche (mars 2017).

[12] Un arbre est dit ultramétrique lorsque toutes ses feuilles sont alignées et donc situées à la même distance de sa racine.

[13] L’espace morphogénétique multidimensionnel dans lequel on peut délimiter des zones adaptatives imbriquées les unes dans les autres.

[14] Le cladisme ne doit surtout pas être confondu avec la cladistique, le premier étant une doctrine philosophique de la taxonomie alors que la seconde est une méthode de reconstruction phylogénétique.

[15] Ce qui est d’ailleurs historiquement faux puisque Darwin n’avait aucun problème avec la paraphylie, le rejet de celle-ci est une lubie plutôt récente.

Figure 1: Influence de l’environnement sur la vitesse d’évolution du polymorphisme de l’ADN (source : d’après Matic et al. 1996). Un stress environnemental provoque une réponse SOS (ici SOS+) augmentant les chances d’obtenir des mutants favorisés. Lorsque le stress disparait la réponse SOS est désactivée (SOS-). Un effet analogue mais contraire est observé avec le système SRM : des mutants ayant un SRM désactivé (SRM-) sont dits mutateurs car de nouvelles mutations apparaissent plus fréquemment que dans le phénotype sauvage (SRM+). Dans un contexte de stress environnemental les mutateurs SRM- augmentent la probabilité d’obtenir des mutants plus adaptés aux nouvelles conditions, l’allèle SRM- est donc positivement sélectionné. Une fois les conditions redevenues plus favorables, certains mutateurs ayant révertés vers SRM+ sont positivement sélectionnés à cause du gaspillage de ressources qu’implique le maintien d’un phénotype mutateur (SRM-). Ces mécanismes génétiques très élaborés tentent de « dompter » de façon dialectique le couple darwinien hasard – sélection.

 

Figure 2: Les spéciations dans un paysage adaptatif. Les dimensions (ici réduites à 2) représentent des caractères ayant une valeur adaptative. Les ronds représentent des espèces et les flèches représentent des évènements de spéciations bourgeonnantes. Les espèces de la 1re zone adaptative partagent un même plan d’organisation à cause de contraintes écologiques, physiologiques, etc. jusqu’à ce que l’une d’entre elles donne naissance à une espèce en dehors de la zone adaptative. Celle-ci provoque alors plusieurs spéciations rapides ce qui aboutit à la colonisation d’une zone adaptative adjacente.

Figure 3: Deux visions opposées de l’évolution. Les lettres représentent des espèces actuelles. La topologie de la phylogénie est identique dans les deux cas (elle peut avoir été obtenue par une méthode cladistique de reconstruction phylogénétique). À gauche le cladisme insiste uniquement sur la topologie du cladogramme en ignorant complètement la quantité d’évolution subie dans les différentes lignées. Les groupes emboités correspondent alors seulement à l’ancienneté relative des derniers ancêtres communs (tout en excluant ces derniers de la classification elle-même). À droite l’évolutionnisme insiste sur la quantité d’évolution subie par les différentes lignées du phylogramme. Par exemple G a changé trois fois moins que A par rapport au dernier ancêtre commun. Les groupes emboités représentent des zones adaptatives (et donc des plans d’organisation), tous les ancêtres sont classés.